Destruction de l'orgueil mondain
La censure des Romans de chevalerie de F. Grandin à Montaigne.
Édition originale rarissime de « ce volume peu commun », le seul cité par Brunet, critiquant l’esprit des romans de chevalerie dès l’année 1558 et édition originale tout aussi rare du « Blason des basquines… ».
« Bel exemplaire en maroquin rouge » (Brunet) provenant des bibliothèques Veinant (1860), E. M. Bancel (1882), Charles Lormier (1990), Georges Wendling (ex-libris).
Deux œuvres en un volume in-8, plein maroquin rouge mosaïqué, plats ornés d’un décor Renaissance dans le style de Grolier, dos à nerfs de même, filets or sur les coupes, roulette intérieure, tranches dorées. Reliure à entrelacs mosaïqués de luxe associant Thibaron avant son association avec Joly et Marius Michel père, Doreur vers 1855.
144 x 99 mm.
Grandin d'Angers, François. Destruction de l'orgueil mondain, ambition des habitz, et autres inventions nouvelles, extraites de la Sainte Escriture & des anciens docteurs de l’Eglise.
Paris, Claude Fremy, en la rue Saint Iaques à l’enseigne S. Martin, 1558.
Suivi du Blason des basquines.
Édition originale rarissime de « ce volume peu commun » (Brunet), le seul cité par cet illustre bibliographe : « Volume peu commun, dont un bel exemplaire en m. r. a été vendu 59 fr. Veinant en 1860. A la fin de l’ouvrage se trouve le Blason des basquines, pièce en vers ; qui a été réimprimée séparément à Lyon en 1563 ».
Et édition originale tout aussi rare du« Blason des basquines et vertugalles… à la date de 1558 ».
Montaigne et les romans chevaleresques.
Selon les hommes du Moyen Âge et de la Renaissance, les âges de la vie déterminent par des effets secrets et évidents les humeurs du corps, la protection des astres, les penchants de l’âme. Est-ce que les âges de la vie décideraient aussi des lectures des hommes et des femmes ? Y a-t-il au Moyen Âge et à la Renaissance des lectures de jeunesse et des lectures de vieillesse ? La littérature chevaleresque est le banc d’essai sur lequel on a essayé de répondre à cette interrogation. L’enquête menée a ainsi découvert qu’au XVIe siècle s’établit un lien puissant entre un âge de la vie, la jeunesse et un genre littéraire, le roman de chevalerie. La littérature chevaleresque n’a jamais été à la fois autant goûtée et autant blâmée qu’au XVIe siècle. Grâce aux effets conjoints de l’imprimerie et de l’alphabétisation grandissante la parole écrite était devenue déchiffrable par un nombre très vaste de personnes. À la même époque, les romans chevaleresques, grâce à la nouvelle sève apportée au genre par des textes comme l’Amadis espagnol et l’Orlando Furioso d’Arioste, jouirent d’une faveur sans précédent.
Mais le faîte de la gloire était aussi le début de la disgrâce : en s’approchant de la fin du siècle, les romans furent de plus en plus visés par la critique humaniste et religieuse. Lorsqu’il écrivit le Don Quichotte, Cervantès mis le sceau de la parodie sur un genre qui avait déjà été exclu du canon de la modernité. Un témoin perspicace du siècle mentionne les récits chevaleresques en deux endroits. La première fois, Michel de Montaigne aborde ces textes dans un chapitre très connu des Essais consacré à l’éducation enfantine. Il y compare son livre de chevet de huit ans avec les lectures des enfants du même d’âge :
Le premier goust que j’eus aux livres, il me vint du plaisir des fables de la Metamorphose d’Ovide. Car, environ l’âge de sept ou huict ans, je me desrobois de tout autre plaisir pour les lire ; d’autant que cette langue estoit la mienne maternelle, et que c’estoit le plus aysé livre que je cogneusse, et le plus accomodé à la foiblesse de mon aage, à cause de la matiere. Car des Lancelots du Lac, des Amadis, des Huons de Bordeaus, et tel fatras de livres à quoy l’enfance s’amuse, je n’en connoissois pas seulement le nom, ny ne fais encore le corps, tant exacte estoit ma discipline.
Michel de Montaigne, Essais, éd. par J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, 2007 [Bibliothèque de la Pléiade], L. I, ch. xxv, De l’institution des enfans, p. 182.
Id, L. II, ch. x, Des livres, p. 389. Entre les livres simplement plaisans, je trouve, des modernes, le Decameron de Boccace, Rabelays et les Baisers de Jean Second, s’il les faut loger sous ce tiltre, dignes qu’on s’y amuse. Quant aux Amadis et telles sortes d’escrits, ils n’ont pas eu le credit d’arrester seulement mon enfance. Je diray encore cecy, ou hardiment ou temerairement, que cette vieille ame poisante ne se laisse plus chatouiller non seulement à l’Arioste, mais encores au bon Ovide, sa facilité et ses inventions, qui m’ont ravy autrefois, à peine m’entretiennent à cette heure.
Ce passage est souvent cité par les historiens du genre chevaleresque.
Il est généralement interprété comme un témoignage du discrédit dans lequel étaient tombé ces textes vers la fin du XVIe siècle.
De semblables tentatives de censure se succèdent tout au long du XVIe siècle. Dans la Destruction de l’orgueil mondain, François Grandin aborde les romans chevaleresques à la suite d’une tirade sur la vanité des parures féminines et au sein d’un passage sur l’instruction des enfants. Il incite maris et mères à interdire à épouses et enfants les lectures de romans puisque ceux-ci ouvrent les portes à l’oisiveté et à la vie dissolue. Selon lui, l’Amadis, à son époque, est plus lu que la Bible car il n’y a pas « enfant de bonne mère, qui ne rapporte entre les mondaines sentences d’icelluy ».
Suit, pages 146 à 152, le poéme intitulé : « Le Blason des basquines et vertugalles, avec la belle remonstrance qu’ont faict quelques dames quand on leur a remonstré qu’il n’en falloit plus porter. Lyon, ben. Rigaud, 1563, pet. in-8 de 8 ff. ici des feuillets 146 à 151.
Cette pièce en vers a paru pour la première fois en 1558 à la suite de la Destruction de l’orgueil mondain, par Fr. Grandin. Ensuite B. Rigaud l’a imprimée séparément, et c’est sur son édition, devenue rare, qu’a été faite celle de Paris, en 1833, et tirée à 50 exempl. seulement, dont trois sur vélin. Une autre réimpression fait partie du 1er vol. du Recueil de poésies, publié par M. de Montaigion. » (Brunet).
Magnifique exemplaire de deux précieuses originales, le seul exemplaire cité par Brunet, provenant des bibliothèques Veinant (1860), E. M. Bancel (1882), Charles Lormier (1900), Georges Wendling (ex-libris).

