Les Gestes De Françoys De Valois Roy De France

DOLET, Estienne
Lyon, Estienne Dolet, 1539
Prix : 10 500 €

Précieux volume à très belles marges dont Deschamps ne cite qu’un seul exemplaire « Yemeniz 500 F Or » et Brunet deux exemplaires seulement La Vallière et Solar.

2 ouvrages en 1 volume in-4 de 79 pp., 78 pp., (1) f.

Maroquin rouge, triple filet doré d'encadrement, dos lisse orné au pointillé, titre en long en deux lignes, roulettes intérieures, tranches dorées. Reliure du XVIIIe siècle.

214 x 150 mm.

Edition originale, fort rare et précieuse, de l’histoire de François Ier composée parEstienne Dolet (1509‑1546).

La traduction française est l’œuvre de Dolet même.

Etienne Dolet, humaniste, imprimeur, philologue, érudit et poète, eut une vie mouvementée, inquiète, douloureuse, où les procès, les emprisonnements et les condamnations vinrent troubler sans cesse des travaux poursuivis avec acharnement. Né à Orléans le 3 août 1509, il devait mourir à 37 ans, brûlé sur la place Maubert, au jour anniversaire de sa naissance, le 3 août 1546.

En tant qu'auteur, Etienne Dolet écrit aussi bien en latin qu'en français. Au sein du monde humaniste et littéraire de Lyon, il s'efforce de mettre en avant une communauté de poètes, au premier rang desquels figure Maurice Scève. Cependant, vers 1540, une brouille survient, à la suite de laquelle Etienne Dolet paraît de plus en plus isolé. Par ailleurs, il participe au débat sur la langue, qui est l'un des plus importants de son époque. Au départ pur latiniste, il s'implique peu à peu dans le grand projet de « défense et illustration de la langue française », qui anime le monde littéraire bien avant Joachim du Bellay.

C'est ainsi qu'il se lance dans son projet d'Orateur français, resté à l'état d'ébauche, qui ambitionne de codifier les règles de l'écriture en français.

En tant qu'éditeur, les choix d'Etienne Dolet reflètent ces orientations intellectuelles. Lorsqu'il publie les plus grands auteurs de son temps, François Rabelais et Clément Marot en tête, il s'agit là encore de « défendre et illustrer » la langue française.

Du xviiè siècle à nos jours, le souvenir d'Etienne Dolet a été entretenu par ceux qui ont vu en lui un esprit libre. Dès la fin du Second Empire, le mouvement naissant de la Libre Pensée en fait un symbole de son combat pour la raison, et contre les croyances et les dogmes imposés par l'Église et la tradition.

La Troisième République anticléricale et laïque donne son nom à des rues et lui fait ériger des statues un peu partout en France. La plus célèbre est celle de la Place Maubert à Paris. Elle fascina les surréalistes tels André Breton ou Louis Aragon. D'autres écrivains le font apparaître en toile de fond de leurs pièces de théâtre ou de romans historiques.

Dolet publie dès 1539 une histoire de François Ier en vers latins. Pourtant, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, le français est la langue de la justice et de l'administration royale ; il est surtout parlé par une élite bourgeoise qui s'attache à ce qui reste la langue du roi. Dans le domaine écrit, le latin garde une place prépondérante c'est la langue liturgique, essentielle aux célébrations religieuses, mais aussi la langue savante, celle des humanistes et des érudits qui communiquent entre eux. C'est aussi la principale langue littéraire : dans les années 1530-1540, écrire et composer des textes littéraires en français relève encore d'une attitude moderniste. Le français reste dans ce monde-là une langue seconde, encore fragile, dont les usages et les graphies ne sont pas encore fixés, et qu'il s'agit pour toute une génération de poètes de « défendre et illustrer », c'est-à-dire de justifier par l'exemple comme langue littéraire.

Estienne Dolet décide donc de traduire en prose française cette même histoire de François Ier qui paraîtra sous le titre : Les Gestes de Francoys de Valois Roy de France. Lyon, Etienne Dolet, 1540. (Collection Bibliothèque Mazarine, 17519).

Etienne Dolet adresse ce volume à François ier avec l'idée de lui suggérer qu'il pourrait devenir l'historien de ce règne. Cette version française en prose a connu un succès important, avec plusieurs rééditions et augmentations.

Le volume est orné par deux fois de la marque typographique d’Etienne Dolet représentant une main sortant d’un nuage et fendant avec une hache (ou doloire) un tronc d’arbre noueux, couché sur le sol. L’une est accompagnée ici d’une devise latine : « Durior est spectatae virtutis, quam incognitae conditio ». L’autre porte la devise : « Scabra et impolita ad amussim dolo, atque perpolio ».

Etienne Dolet publie donc ici un récit historique qui raconte les hauts-faits du Roi de 1515 à 1539. Dans la lettre dédicatoire à François Ier il rappelle sa lointaine envie de faire de l'Histoire en son honneur : « J'eus toujours le dessein, ô Roi le plus remarquable en tout point, je me suis aussi, depuis l'adolescence même, proposé comme récompense de mes travaux de consacrer à l'illustration de la France toutes les facultés d'éloquence que j'obtiendrais un jour tant par la fécondité de mon talent que par un travail continuel et acharné » ; on remarque de nouveau la mutation de l'Orateur en Historien ; le poète insiste aussi sur l’ampleur de ses travaux.

« En somme, Etienne Dolet aurait aimé être l'historiographe du royaume de France. Il fit feu de tout bois en ce sens pour convaincre le roi mais n'y réussit pas, malgré l'essai des Gestes deFrançois ier qu’il fit paraître en 1540 et où il donnait à François ier un échantillon de son talent. Talent de conteur, d'ailleurs, plus que d'historien, car les heurs et malheurs du royaume sont présentés sous les traits de figures mythologiques hautes en couleur, telle Alectô qui vient des Enfers aider le Connétable de Bourbon à semer la panique parmi les soldats français à Pavie, ou à travers des images plus tendres, proches du lyrisme familial, comme celle du moineau échappé au milan lorsque l'historien évoque la libération des enfants royaux en 1530 et leurs retrouvailles avec leur père François ier. La coloration épique de l'ouvrage ne correspondait sans doute pas aux attentes du Roi en matière d'historiographie. »

Catherine Langlois-Pézeret.

En 1538, Étienne Dolet épousa Louise Giraud, et la même année obtint du roi, grâce au cardinal de Tournon, le privilège d'imprimeur. Il édita alors, outre ses propres traités, une série d'ouvrages parmi lesquels on peut citer des opuscules de Galien, la Chirurgie de Paul d'Egine, et surtout le Gargantua de Rabelais et les œuvres de Marot avec lesquels il s'était lié d'amitié vers 1534. Les livres de Dolet sont marqués d'une doloire tenue par une main sortant d'un nuage, au-dessous un tronc d'arbre vert avec la devise : Scabra et impolita adamussimdolo atque perpolio. La publication des œuvres de Rabelais et de Marot, les épigrammes qu'il s'était lui-même permises contre les moines, avaient attiré de nouveau sur lui l'attention de l'Église. Il mit le comble à sa mauvaise réputation en éditant coup sur coup des ouvrages convaincus d'hérésie comme le Manuel du chevalier chrestien et le Vray Moyen de bien et catholiquement se confesser d'Érasme, la Fontaine de Vye le Livre de la Compaignie des Pénitens, des Bibles, des livres calvinistes, etc. On résolut de le poursuivre, et vers le milieu de l'année 1542, il fut, par ordre de l'inquisiteur général Mathieu Orry, arrêté et incarcéré dans la prison de l'archevêché de Lyon. Le 2 octobre, il était condamné à être brûlé, étant reconnu coupable d'hérésie et fauteur et défenseur des hérétiques et erreurs pernicieuses ; il fut livré au bras séculier. Étienne Dolet interjeta appel au parlement de Paris, il fut transféré à la Conciergerie en 1543, écrivit une pétition au roi pour obtenir son pardon, et, protégé chaudement par Pierre Duchâtel, reçut des lettres de grâce, à condition d’abjurer ses écrits devant l’official de l’évêque de Paris.

Mis en liberté à la fin de 1543, après quinze mois d'emprisonnement, il revint à Lyon, se montra extrêmement prudent dans ses affaires d'imprimerie, et se garda de s'occuper de théologie : mais ses ennemis ne désarmèrent pas. Ils adressèrent à Paris deux ballots marqués de son nom, remplis de livres sortis de ses presses et de livres hérétiques imprimés à Genève. Ces ballots furent saisis et Dolet de nouveau emprisonné à Lyon ; il réussit à tromper ses geôliers et s'enfuit en Piémont où il demeura caché quelque temps, et où il écrivit une série d'épîtres en vers à François ier au parlement de Paris, à la reine de Navarre et autres personnages de marque. Mais il commit l'imprudence de rentrer en France, fut arrêté et enfermé à la Conciergerie (1544). Après deux années de procédure il fut par le parlement (2 août 1546) reconnu coupable de blasphème, de sédition et d'exposition de livres prohibés et damnés, et condamné à être conduit à la place Mauberti,

« où sera dressée et plantée en lieu commode et convenable

une potence à l'entour de laquelle sera fait un grand feu auquel, après avoir été soulevé en ladite potence, son corps sera jeté

et brûlé avec ses livres, et son corps mué et converti en cendres. »

Il fut de plus soumis à la question extraordinaire, et ses biens furent confisqués. La condamnation fut exécutée le jour suivant.

Précieux volume à très belles marges dontDeschampsne cite qu’un seul exemplaire « Yemeniz 500 F Or » etBrunetdeux exemplaires seulementLa Vallière et Solar.

Lors de la dispersion de cette illustre bibliothèque, en l’année 1860, la présente édition originale d’Estienne Dolet fut vendue 20 % de plus que la précieuse seconde édition originale des Essais de Montaigne de 1582 d’une valeur actuelle de 100 000 €. Les deux volumes étaient pareillement reliés en maroquin rouge ancien.

Provenance : Edouard Rahir.