Mémoires manuscrites du Duc de Rohan sur les choses advenues en France depuis la mort de Henri le Grand
Le manuscrit des Mémoires du « Duc de Rohan » (1579-1638) calligraphié en 1638 provenant de la bibliothèque personnelle d’Henri Gaston de Bourbon (1601-1682), fils naturel du roi Henri IV.
Superbe exemplaire en vélin doré de l’époque aux armes d’Henri Gaston de Bourbon.
De la bibliothèque des Comtes de Cossé Brissac.
In-4, vélin ivoire, double filet or encadrant les plats, armoiries frappées or au centre, dos lisse orné, tranches dorées. Reliure armoriée de l’époque.
228 x 175 mm.
« Le cousin et ami du roi Henri IV, gendre de Sully, Henri de Rohan (1579-1638) "Huguenot de plume et d'épée", devient le chef du parti protestant et l'adversaire principal du cardinal de Richelieu après l'assassinat de Henri IV. Malgré sa vaillance et celle de son frère, le duc de Soubise, les soulèvements protestants se solderont par la prise de La Rochelle et la défaite militaire des protestants. Ils devront accepter en 1629 la paix d'Alès qui revient sur les acquis de l'Édit de Nantes. Ces Mémoires rédigées en exil, à Venise, relatent les opérations militaires des protestants, les tentatives de Rohan pour obtenir le soutien de l'Angleterre, le siège de La Rochelle, la guerre dans le Languedoc et donnent un éclairage engagé sur les intrigues et les divisions du parti protestant.
Voltaire a bien caractérisé Rohan dans ces vers, faits en 1758 pour son portrait :
Avec tous les talents le ciel l’avait fait naître ;
Il agit en héros, en sage il écrivit,
Il fut même un grand homme en combattant son maître,
Et plus grand lorsqu’il le servit.
Henri IV venait de conquérir son royaume par sa valeur, lorsque Rohan parut à la cour ; il avait alors seize ans. Il fit ses premières armes sous ce monarque, et se signala à ses côtés au siège d'Amiens, qui fut repris sur les Espagnols. Le roi lui témoignait d'autant plus de tendresse que, n'ayant point d'enfant de la reine Marguerite, il le regardait comme son héritier présomptif pour le royaume de Navarre. La paix entre la France et l'Espagne suivit de près ces heureux événements, et, l'édit de Nantes acheva de pacifier le royaume.
La guerre civile devait, en entraînant Rohan le signaler comme l'un des capitaines les plus distingués. Le premier mouvement des protestants éclata au sujet de la résolution qu'avait prise Louis XIII de rétablir la religion catholique dans le Béarn. Les calvinistes, alarmés, s'assemblèrent à la Rochelle en 1620. On doit à Rohan la justice de dire qu'il s'opposa vivement, ainsi que Duplessis Mornay, à des résolutions extrêmes, qui rendaient la guerre civile inévitable. La majorité l'ayant emporté, Rohan, toujours prêt à se sacrifier à son parti, se disposa à soutenir vigoureusement, pour sa part, une prise d'armes qu'il avait voulu prévenir. Les protestants donnèrent le commandement de leurs cercles ou provinces, au nombre de sept, aux seigneurs de leur religion les plus considérables. Les déclarations foudroyantes du souverain contre les rebelles armés ou plutôt les faveurs de la cour détachèrent du parti réformé plusieurs de ses chefs. Mais Rohan et Soubise, son frère, refusèrent généreusement d'abandonner leurs coreligionnaires. Après avoir soulevé et mis en défense Clérac, Nérac et d'autres places de la Guienne, Rohan se porta sur Montauban, que le roi assiégeait avec toutes ses forces, et il parvint à y introduire un renfort considérable. Le connétable de Luynes, pour sauver l'honneur des armes du roi, demanda une entrevue à Rohan, dans laquelle il lui offrit une paix avantageuse pour lui et pour ses amis. « Demandez, lui dit-il, tout ce qui vous accommode le mieux : on vous offre la carte blanche… Ainsi résolvez-vous à une perte certaine et ignominieuse, si vous persévérez à faire la guerre au roi ou à procurer à votre maison une grandeur et un éclat qu'elle n'eut jamais. » Rohan rejeta toutes les propositions de son allié : « Je suis tout préparé, dit-il, à la perte de mes biens et de mes charges ; mon parti est pris ; je souffrirai tout : je l'ai promis solennellement. Ma conscience ne me permet pas d'accepter autre chose qu'une « paix générale. » Les nouvelles tentatives du roi contre Montauban furent inutiles : il fut forcé de lever le siège après avoir perdu plus de 8,000 hommes. Dès ce moment, Rohan devint le chef véritable du parti protestant. La Guienne, le Languedoc et les provinces voisines se déclarèrent presque entièrement pour lui.
Dans ses Mémoires, celui-ci fait à ce sujet cette sage réflexion : « Tel est le malheur des guerres civiles, qu'elles mettent entre le chef et ses partisans une égalité trop grande, qui ne peut que ruiner à la fin ceux qui s'y laissent entraîner. » Toutefois il sut triompher de tous ces obstacles
Le roi vint mettre le siège devant Montpellier, et, voyant que Rohan allait jeter du secours dans la place, il consentit à la paix. Le traité, signé le 19 octobre 1622, fut tout à l'avantage des calvinistes ; l’Edit de Nantes fut confirmé.
Louis rejeta un pareil avis et ordonna que Rohan serait rendu à la liberté. Ce chef de parti fut alors en butte aux accusations des protestants, qui, rejetant sur lui les infractions faites au traité, allèrent jusqu'à prétendre qu’il était d'intelligence avec la cour, et que sa prison n’avait été qu'une feinte et une collusion. Cette ingratitude l'affligea plus que ne l'avait fait la perte de sa liberté. « C'est la récompense ordinaire « de ceux qui servent les peuples, » dit-il à ce sujet dans ses Mémoires. « L'infraction de la paix « précédente en tous ses articles, écrit-il ailleurs, devint le sujet d'une seconde guerre. » Il reprit les armes avec une précipitation imprudente, et que l'on conçoit d'autant moins que « ses affaires domestiques, comme lui-même en convenait, le portoient au maintien de la paix… »
Le désastre de la Rochelle jeta la consternation dans tout le parti protestant. Rohan seul ne parut pas ébranlé, et, bien qu'il prévît que toutes les forces des catholiques allaient fondre sur lui, il forma le hardi projet de ne poser les armes qu'après avoir obtenu une paix honorable et consentie par tous ceux du parti religionnaire. On le vit tout à la fois négocier en Espagne, agir en Angleterre et auprès des protestants d'Allemagne. Sa lettre au roi Charles 1er, pour l'engager à mettre sous sa protection toutes les Églises de la réforme, est un chef-d'œuvre ; mais le monarque anglais, menacé par ses propres sujets, était moins que jamais en état de tenir ses engagements envers les calvinistes de France. Rohan fit les plus belles dispositions pour résister ; « mais, dit-il lui-même dans ses Mémoires, par un trait sublime, Dieu, qui en avoit autrement disposé, souffla sur tous ces projets ». Après la glorieuse campagne de Louis XIII en Savoie, Rohan n'eut pas seulement à combattre les troupes victorieuses de son roi : chaque jour voyait éclater quelque nouvelle défection dans ses rangs. Il faut l'entendre lui-même, dans ses Mémoires, peindre énergiquement la déplorable situation de son parti : « Six armées, qui faisaient plus de 50,000 hommes, dit-il, fondent sur nous en même temps, avec 50 canons, avec assez de poudre pour tirer cinquante mille coups… Ce fut alors que les émissaires de la cour dans nos villes reprirent courage et proposèrent des accommodements séparés, afin d'empêcher une paix générale… Plusieurs s'accommodèrent, et tous ne pensèrent qu'à sauver leurs personnes et leurs biens du naufrage : aucun ne se mit en peine de l'intérêt « général de l'Église. » On ne saurait dire combien Rohan montra de talent et de ressources dans une pareille situation.
Au milieu de ces difficultés, Rohan conservait une telle fermeté que Richelieu n'était pas moins embarrassé que lui. Ce ministre, qui venait de conduire à sa maturité son grand projet d'abaissement de la maison d'Autriche, souhaitait ardemment de terminer une guerre civile que le génie de son chef pouvait prolonger encore longtemps. On travailla sérieusement à la paix. En vain proposait-on à Rohan les conditions les plus brillantes pour faire son accommodement particulier : « Je fis savoir à la cour, dit-il, que je mourrois gaiement avec la plupart de tout le parti plutôt que de n'avoir pas une paix générale ; qu'on risque beaucoup en réduisant au désespoir des gens qui se peuvent encore défendre ; que je n'entrerais jamais dans aucun traité particulier. » La cour céda enfin, et une paix générale fut signée le 27 juillet 1629. Le rétablissement de l'édit de Nantes, la restitution de temples aux réformés, une abolition de tout le passé pour lui et Soubise, voilà ce qu'obtint Rohan après tant de désastres.
Cependant Louis XIII songea bientôt à employer les talents du duc de Rohan. Les Grisons, alliés de la France, étaient depuis plusieurs années inquiétés par la révolte de la Valteline, que fomentait l'Espagne, dont les troupes menaçaient le territoire de cette république. Le roi de France écrivit à Rohan, dans les termes les plus flatteurs, pour lui annoncer qu'il confiait les intérêts des Grisons à son courage et à sa prudence. Le duc quitta donc Venise, où « il étoit passé, comme il le dit lui-même, pour ôter tout ombrage de ses déportements et céder doucement à la fortune ». Les Vénitiens ne le virent partir qu'avec regret. Il arriva (4 décembre 1631) à Coire, capitale des Grisons, où « il fut reçu avec joie et applaudissement ». Les trois ligues grises l'élurent pour général. Le roi lui confirma cette dignité par des lettres patentes, et y ajouta même le commandement de tous les gens de guerre à la solde de France dans le pays des Grisons. Rohan aurait voulu débuter par l'attaque de la Valteline.
Le roi lui donna des marques d'estime, et, au bout de quatre mois d'attente, le chargea de la conquête de la Valteline. Les Mémoires de Rohan ne donnent aucun éclaircissement sur le motif de ces incertitudes de la cour : ils disent seulement « qu'il eut six fois commandement d'y entrer (en Valteline) et six fois commandement de surseoir ». Enfin, en 1635, une armée de 15,000 hommes lui fut confiée. Pour mieux couvrir ses projets sur cette province, il eut ordre de marcher d'abord en Alsace et d'investir Béfort. Apprenant que le duc de Lorraine avait passé le Rhin à Brisac, il marcha au-devant de lui, le battit et le força d'évacuer l'Alsace. La conquête de plusieurs places prises d'assaut acheva de sauver cette province. Cependant il s'était approché de Bâle : à la faveur de la nuit, il entra en Suisse, et parut inopinément, au bout de douze jours de marche, à Coire, où les Grisons, serrés de près par les Impériaux, le reçurent avec de grandes démonstrations de joie. Il fut d'abord repoussé par les ennemis, qui l'attaquèrent avec des forces supérieures ; mais il n'était jamais plus redoutable qu'après une défaite : il trompa l’ennemi par une contre-marche, et parut sur les hauteurs de Cassiano, à la vue des Impériaux étonnés. C’est alors qu’il adressa à ses troupes une courte harangue, comparable aux plus belles des Romains : « Nous avons passé, dit-il, des lieux presque inaccessibles pour venir en cette vallée ; nous y sommes enfermés de tous côtés. Voilà l'armée impériale qui se met en bataille devant nous ; les Grisons sont derrière, qui n'attendent que l'événement de cette journée pour nous charger si nous tournons le dos. Les Valtelins ne sont pas moins disposés à achever ce qui restera de nous. De penser à la retraite, vous n'avez qu'à lever les yeux pour en voir l'impossibilité ; ce ne sont, de tous côtés, que précipices insurmontables, de sorte que notre salut dépend de notre seul courage. Pour Dieu ! mes amis, tandis que les armes de notre roi triomphent partout avec tant d'éclat, ne souffrons pas qu'elles périssent entre nos mains ; faisons, par une généreuse résolution, que ce petit vallon, presque inconnu au monde, devienne considérable à la postérité et soit aujourd'hui le théâtre de notre gloire. » Rohan fut vainqueur, et sa fortune ne se démentit pas depuis. « Je me saisis de la Valteline, dit-il dans ses Mémoires, et la conservai par quatre combats généraux, où les armées de l'Empereur et du roi d'Espagne, qui se présentèrent pour m'en chasser, furent défaites. »
Ces Mémoires calligraphiés en l’année 1638 ont été imprimés pour la première fois en 1644, grâce aux soins de Sorbière, qui s'était procuré le manuscrit en Languedoc. Mais cette première édition demeurait incomplète et fautive. L'ouvrage connut une seconde édition en 1646, où les mémoires sont pour la première fois divisés en quatre livres et les lacunes ont été complétées.
À la fin du manuscrit se trouvent trois chapitres relatifs aux Mémoires sur la guerre de la Valteline écrits par le duc de Rohan durant le séjour qu'il fit à Genève entre juin 1637 et janvier 1638 : Véritable récit de ce qui s'est passé au souslevement des Grisons pour la restitution de la Valteline… [15] pp. ; Relation véritable et particulière de ce qui s'est passé à la Valteline… [16] pp. ; Copie de l'ordonnance mentionnée en la lettre cy dessus [16] pp. La première édition des Mémoires sur la Valteline ne fut publiée qu’en 1758, par le baron de Zurlauben, « qui avait vérifié le texte sur les trois seuls manuscrits connus », écrit Petitot dans l'avertissement à son édition de 1822 (t. II, pp. 3-4).
Précieux exemplaire du fils naturel d’Henri IV.
Henri-Gaston de Bourbon, chevalier, puis duc de Verneuil, fils naturel d'Henri IV et de Catherine-Henriette de Balzac d'Entragues, marquise de Verneuil, naquit en octobre 1601, fut légitimé en 1603 et fut pourvu des abbayes de Saint-Germain-des-Prés à Paris, d'Orcamp, au diocèse de Noyon, de la Valasse et de Fécamp, au diocèse de Rouen, de Bonport et de Saint-Taurin, au diocèse d'Évreux, des Vaux-de-Cernay, au diocèse de Paris, et de Thiron, au diocèse de Chartres ; il fut nommé évêque de Metz en 1608 et administra son diocèse de 1621 à1652, date à laquelle il se démit de son évêché pour rentrer dans le siècle. Créé chevalier des ordres du Roi le 31 décembre 1661, puis duc de Verneuil en 1663, il fut envoyé comme ambassadeur extraordinaire en Angleterre en 1665 et reçut le gouvernement du Languedoc en 1666. Il se maria le 29 octobre 1668 avec Charlotte Séguier, veuve de Maximilien-François de Béthune, duc de Sully, et mourut sans postérité dans son château de Verneuil le 28 mars (ou mai) 1682.
De la bibliothèque des comtes de Cossé-Brissac au château de Crépan, avec ex-libris.





