Mémoires de M. D'Artagnan
Édition en partie originale des « Mémoires de M. D’Artagnan ».
L’un des plus saisissants et éblouissants ensembles bibliophiles décrit dans « chefs-d’œuvre du Musée Condé, Château de Chantilly ».
Cologne, 1701.
3 volumes in-12. Maroquin olive à recouvrement, triple filet, dos orné de feuillages entourant un médaillon chargé du chiffre VV surmonté d’une couronne de duc, roulette intérieure, tranches dorées sur marbrure.
Reliure de l’époque.
155 x 90 mm.
Courtilz de Sandras, Gatien. Mémoires de M. D’Artagnan, Capitaine-Lieutenant de la première Compagnie des Mousquetaires du Roi, Contenant quantité de choses particulières et secrettes qui se sont passées sous le Règne de Louis le Grand.
Cologne, Pierre Marteau (Rouen), 1701.
Édition en partie originale des Mémoires de M. D’Artagnan avec les trois volumes à la date de 1701. Quérard mentionne les dates de 1701-1702 pour les trois volumes Rahir indique 1700-1701, certains volumes n’ayant que le titre renouvelé. Quelques exemplaires possèdent cependant les trois volumes à la date de 1700.
« M. Alexandre Dumas s’est avantageusement servi de l’ouvrage rédigé par Courtilz de Sandras pour son roman intitulé « Les Trois Mousquetaires ». Les noms d’Athos, Portos et Aramis, ces noms si pittoresques y sont écrits en toutes lettres ; les duels, les amours de D’Artagnan et ses aventures avec Milady y sont bien réellement racontées » (Quérard).
« Il faut voir dans les « Mémoires de D’Artagnan » une préfiguration du roman réaliste, car Sandras ne leur donna cette apparence de vérité historique que pour mieux captiver ses lecteurs. Dans la préface l’auteur prétend puiser la matière de son œuvre dans les papiers de D’Artagnan ». (Dictionnaire des Auteurs, I, 699).
« Trois écrivains ont collaboré aux « Trois Mousquetaires » : Gatien de Courtilz pour le scénario et l’intrigue ; Maquet pour la rédaction grossoyée, le brouillon et en quelque sorte la maquette ; Alexandre Dumas pour l’animation du récit et les dialogues, la couleur, le style, la vie ». (Henri d’Alméras).
Écrivain à succès, Gatien de Courtilz Sieur de Sandras (1644-1712) vécut une existence assez tumultueuse en raison de ses écrits polémistes.
« La hardiesse de sa plume lui valut douze années de Bastille ». (Quérard).
Il livre dans ses écrits un tableau coloré de la fin du grand siècle, riche en anecdotes, scandales et détails croustillants. L’auteur écrira l’ouvrage à la Bastille où il aurait rencontré D’Artagnan et où les livres censurés, saisis, étaient déposés dans son « Enfer », qui deviendrait « la plus belle bibliothèque, soigneusement inventoriée, des ouvrages interdits du royaume ». (Portier des Chartreux).
Souvent réédité malgré saisies et interdictions, ce texte brode sur la vie réelle de Charles de Batz Castelmore, comte d’Artagnan (1611-1673), cadet d’Armagnac qui vint chercher fortune à Paris en 1640, devint mousquetaire et se mit au service de Mazarin.
Courtilz de Sandras se serait inspiré des papiers laissés par Charles de Batz après sa mort au siège de Maastricht. Il est fait la part belle aux faits d’armes et aux intrigues de la Cour, dont l’arrestation de Fouquet qui fut opérée par d’Artagnan.
Le présent texte ayant été très vite réédité, la majorité des exemplaires de cette édition originale sont constitués de tomes des différents tirages successifs, datant de 1700, 1701 ou 1702.
D’Artagnan est né en 1613. Il n'est toujours pas mort. Quatre cents ans d'intrigues amoureuses, de manœuvres politiques, de regards séducteurs et de duels implacables n'ont rien altéré de sa fougue, et sans doute est-il immortel. Il est la légende et la vérité. L'histoire et le roman dans sa vie se rencontrent, ils se plaisent, ils se marient. On le verra dans ces mémoires apocryphes, rédigés peu après la mort du maréchal d'Artagnan par un témoin oculaire : le divorce n'est pas pour demain. D'Artagnan est là, jour après jour, bataille après bataille, dans sa vie réelle, entre les éminences, les altesses et les reines. Mais il est déjà un mythe, une personne et un personnage, un portrait de Saint-Simon et un héros d'Alexandre Dumas. Infatigable et passionnant, vrai comme la fiction et incroyable comme la vérité.
Très séduisant exemplaire en maroquin à recouvrement, vraisemblablement relié pour le marquis de La Vieuville (1652-1719), l'un des grands curieux de son temps. La reliure, sans doute exécutée par Luc-Antoine Boyet dans le premier quart du XVIIIème siècle, fait partie d'un ensemble de reliures ornées au dos d'un petit chiffre VV croisé et couronné, dont un exemple est reproduit par Isabelle de Conihout et Pascal Ract-Madoux dans Reliures françaises du XVIIème siècle. Chefs-d'œuvre du musée Condé, 2002, groupe 10, n° 47.
L'exemplaire a figuré au catalogue de la première vente de la Beckford Library, à Hamilton Palace (1882, n° 415) : Brunet, dans la Bibliomanie en 1882, revient sur la vente des livres rassemblés par William Beckford (1759-1844), l'auteur de Vathek, et cite cet exemplaire de D'Artagnan (p. 26) ; il en relève le prix exceptionnel (52 livres), dû à sa très belle reliure avec les VV (ou W) qui étaient encore, avant les recherches d'Isabelle de Conihout et de Pascal Ract-Madoux, attribués à tort à Vignerot Richelieu.
Les présentes reliures, remarquables, sont ainsi étudiées dans le volume intitulé : « Reliures Françaises du XVIIème siècle. Chef-d’œuvre du Musée Condé, château de Chantilly » :
« Sont proposés ici à notre admiration et à notre enseignement - nous irons de découverte en découverte - deux groupes ou plutôt deux groupements de reliures du plus haut luxe appartenant à deux périodes bien distinctes du XVIIème siècle, respectivement 1615-1665 et 1690-1710. Elles sont inédites et reproduites ici pour la première fois. Toutes ont été choisies de main de maître dans le cabinet de livres rares du duc d'Aumale (1822-1897), sans doute la plus belle collection de ce type jamais constituée en France, avec celle d’Ambroise Firmin-Didot (1790-1876) aujourd’hui dispersée et celle, un peu en retrait, du baron James de Rothschild (1844-1881) conservée à la Bibliothèque nationale de France. Bien qu'on n'ait pas cherché ici à faire jouer ces deux groupements en couple dialectique, une très simple comparaison ou confrontation fait apparaître quant aux pratiques et usages sociaux de ces objets des contrastes très éclairants.
Entre 1690 et 1710 environ, un petit nombre d'amateurs, mondains cultivés et par ailleurs grands curieux, dans une émulation qu'on peut deviner, font recouvrir certains textes élus de reliures aux décors ou évidemment inspirés ou prétendant évoquer des décors de reliures d'une autre époque, le premier XVIIème siècle. Vingt-quatre ici présentes en proposent presque tous les modèles ; elles sortent d'un même atelier parisien.
Déroutantes parce que archaïsantes quelquefois jusqu'au pastiche, elles avaient égaré — au moins la plupart d'entre elles - les meilleurs historiens et connaisseurs ; on les avait mal datées et attribuées presque au petit bonheur, quelques-unes à Louis XIII et Anne d'Autriche quand ce n'était pas à Sully ! - confondant le modèle et la réplique. Ainsi éparpillées, elles manquaient le plus saisissant et historiquement exploitable de leurs effets : l'effet de groupe.
Or le principal mérite, éclatant, de cette exposition est l'identification et la caractérisation d'un petit groupe original d'amateurs aux traits distinctifs forts. C'est comme la découverte d'une nouvelle constellation ; le kaléidoscope a tourné et tout est à revoir ! Les collections de ces amateurs relèveraient du modèle du cabinet curieux tel qu'on le trouvera bientôt chez Du Fay ou Hoym. Comme eux, et même semble-t-il plus encore, ils sont très sélectifs quant aux textes et comme eux très exigeants quant au raffinement des reliures, ce qui les range, à côté d'eux, dans la mouvance du luxe aristocratique et pourtant, pour les textes comme pour les reliures, ils font un pas de côté très inattendu. Pour les textes, ils s'en tiennent très sélectivement et très obstinément au vernaculaire et à ce que l'époque subsumait sous le nom d' « antiquités gauloises » et d'aménités littéraires, c'est-à-dire pour l'essentiel à la littérature nationale médiévale et du XVIème siècle, prolongée ici jusqu'au XVIIème, en gros tout ce que la Contre Réforme et l'humanisme gallican avaient répudié. Quant au traitement proprement bibliophilique des exemplaires, ils y apportent une extrême exigence, ce qui ne suffirait pas à les distinguer de certains cabinets constitués au même moment (Longepierre, madame de Chamillard, etc.) s'ils n'y ajoutaient cette volonté stupéfiante et jusqu'ici ignorée - ou repérée seulement chez des amateurs des décennies ultérieures (Châtre de Cangé) - d'adopter des décors très archaïsants, témoignant de nostalgies ou de dévotions qu'il faudra interroger. (Jean Viardot).
« C'est dans le milieu des « curieux » parisiens, à l'extrême fin du XVIIème siècle, qu'ont fait leur apparition des reliures spécialement destinées à recouvrir des livres rares. Ces reliures ont en commun deux caractéristiques : elles ont été exécutées exclusivement sur des livres français ou traduits en français, leurs décors sont toujours soit imités de modèles anciens, soit inventés dans un esprit plus ou moins archaïsant. Nous avons pu retrouver plus de deux cents de ces reliures qui, n'ayant jamais été étudiées, n'ont pas encore de nom et que nous proposons d'appeler archaïsantes.
Elles se répartissent en une quinzaine de groupes. Dix de ces groupes sont représentés dans le cabinet des Livres du duc d'Aumale par vingt-quatre reliures, toutes exposées :
1. reliures aux écussons (n° 26)
2. reliures « Louis XIII-Anne d'Autriche » (n° 27, 28, 29)
3. reliures « Louis XIII-Anne d'Autriche sans chiffres » (n° 30, 31)
4. reliures au grand W (n° 32, 33)
5. reliures à l'éventail et pseudo-Le Gascon (n° 34, 35, 36)
6. reliures à bordure et inscription La Vieuville (n° 37)
7. reliures à dentelle La Vieuville (n° 38, 39, 40, 4l)
8. reliures « plein or » (n° 42, 43)
9. reliures « antiquités gauloises » (n° 44, 45, 46)
10. reliures au petit W (n° 47, 48, 49).
Les reliures archaïsantes ont toutes été exécutées entre 1690 et 1710 environ par un seul atelier. Cet atelier est celui de Boyet ou plus exactement celui de son doreur, les corps d'ouvrages ayant pu être faits par deux relieurs différents. En effet, Luc-Antoine Boyet, reçu maître vers 1684, n'avait probablement pas d'atelier de dorure chez lui. Les reliures qu'on s'accorde à lui attribuer sont dorées au moyen de fers et roulettes dont plusieurs sont omniprésents dans l'ensemble de la famille archaïsante. Nous reproduisons en annexe quelques-uns des fers employés sur les reliures exposées.
Notre datation des reliures archaïsantes, souvent très différente de celle qui a prévalu jusqu'ici, repose sur plusieurs évidences :
- Les reliures archaïsantes recouvrent parfois des ouvrages contemporains : les dates de publication les plus tardives que nous avons rencontrées sont 1694 (groupe 7), 1700 (groupe 9) et 1707 (groupe 10).
La Vieuville
Chevalier d'honneur de la reine Marie-Thérèse et gouverneur du Poitou, René François, Marquis de La Vieuville (1652-1719), habite l'hôtel familial, situé à l'angle du quai des Célestins de la rue Saint Paul, à quelques pas de l'Arsenal. Il est le petit-fils de Charles de La Vieuville, surintendant des Finances de Louis XIII. En 1624, celui-ci avait été brusquement disgracié, accusé de malversations et, après une condamnation à mort par contumace, privé de tous ses biens, titres et charges. C'est Anne d'Autriche devenue régente qui devait le sauver de la ruine et rétablir sa fortune. En 1651, au comble de la faveur, il était même fait duc et pair. À la mort du surintendant, son fils Charles II était autorisé à porter le titre sa vie durant mais, les lettres patentes n'ayant jamais été enregistrées, René François perdit définitivement la couronne ducale à la mort de son père. Cette couronne perdue est l'élément essentiel de la « dentelle La Vieuville », dont une tradition de la librairie a transmis le nom jusqu'à nous.
L’un des plus beaux ensembles bibliophiliques vendu au prix exceptionnel de 52 livres à la vente Beckford soit davantage encore que l’extraordinaire « Poliphilo – Hypnerotomachia - Alde 1499 », conservé dans son ancienne reliure italienne, vendu 48 livres par Quaritch en janvier 1875 (valeur actuelle : 1 500 000 €).


