Mémoires et Voyages
Passionnante édition originale, d’une insigne rareté, des Mémoires et Voyages de Custine.
Magnifique exemplaire imprimé sur papier vélin, somptueusement relié à l’époque au chiffre de la princesse de Materna (1795-1878), épouse du Prince de Bauffremont.
De la bibliothèque Louis de Sadeleer.
2 volumes in-8 demi-cuir de Russie chocolat à petits coins, dos lisses, chiffre doré M en queue, tranches mouchetées. Reliure de l’époque.
206 x 128 mm.
Custine, Astolphe, Marquis de (1790-1857). Mémoires et voyages ou Lettres écrites à diverses époques pendant des courses en Suisse, en Calabre, en Angleterre et en Écosse.
Paris, Alex. Vezard & Le Normant père, 1830.
« Édition originale fort rare » (Clouzot).
Sans aucun doute l’un des écrits les plus intéressants d’Astolphe de Custine et les plus difficiles à se procurer.
« La Russie en 1839 », l’œuvre phare de Custine, parue 13 ans après ses « Mémoires et Voyages » est un livre qui, sans être commun, se rencontre assez aisément. « Le Monde comme il est », le roman d’amour du marquis de Custine publié en 1835 à 550 exemplaires seulement est également moins rare.
« Astolphe de Custine passa une enfance solitaire au château de famille de Fervaques, dans le Calvados. Sa mère fut un temps la maîtresse de Chateaubriand, dont l’influence se fit sentir sur le jeune homme.
Très tôt, il commence à voyager. De 1811 à 1822, il parcourt différents pays d’Europe, ce qui lui fournit la matière de « Mémoires et voyages ou Lettres écrites à différentes époques pendant des courses en Suisse », en Calabre, en Angleterre et en Écosse (1830) ».
Sa correspondance avec le marquis de La Grange, traducteur de Jean-Paul Richter, témoigne que Custine fut l’un des introducteurs du romantisme allemand en France. Tenu délibérément à l’écart de la société par son homosexualité affichée (l’ordre moral règne sous Charles X), il tente de rentrer en grâce par son seul talent.
Custine, ce « charlus du romantisme », est bien plus qu’un figurant scandaleux de la petite histoire littéraire et mondaine du siècle dernier. Dans le scandale de mœurs de 1824 qui le fit exclure de la société du Faubourg Saint-Germain, l’adolescent mélancolique trouva paradoxalement sa libération et l’occasion d’être enfin ce qu’il était. Ses dons remarquables d’analyste, qu’il avait jusqu’alors exercés vainement sur son propre « cas », il les tourna vers autrui et devint un juge particulièrement lucide de son époque et de ses contemporains. Sa perspicacité et son indépendance de jugement sont aussi grandes dans le domaine littéraire, comme le montrent les « Mémoires ». Custine fut un des premiers à donner leur vraie place à Balzac et à Stendhal, et l’une de ses dernières lettres fut pour saluer « Les Fleurs du mal » de Baudelaire.
Les « Mémoires et Voyages » sont rédigés sous forme de lettres : la première intitulée « Journal adressé à l’ami que j’aurai » est datée de « Bâle, ce 29 mai 1811 ». La dernière écrite en Angleterre porte « Cheltenham, ce 20 septembre 1828 ».
Ce bref extrait de la lettre intitulée « Shrewsbury, ce 22 septembre 1822 » illustre parfaitement le style et l’esprit d’analyse de Custine.
« Nous avions ce matin pour compagnon de voyage, un enfant de quinze jours, porté dans les bras de sa mère. Cette pauvre femme, à peine relevée de couches, avait entrepris, au péril de sa vie, un voyage fatigant, pour aller assister aux funérailles de son père. Le respect des Anglais pour leurs parens morts est très touchant, et le serait davantage s’ils étaient plus tendres pour les vivans. Mais ici, les sentimens de famille sont concentrés dans l’amour conjugal et dans le respect pour le tombeau. En général les Anglais sont trop calculateurs pour être sensibles ; ils sont passionnés ou indifférens. La société, chez eux, repose uniquement sur le mariage, et les frères, les enfans, les parens n’occupent que bien peu de place dans leurs affections : l’intérêt, l’intrigue, la jalousie divisent leurs familles plus que les nôtres, parce que l’argent a encore plus de prix pour eux que pour nous. La poursuite des héritages, qui, heureusement en France, n’occupe que bien peu de gens, est un état, en Angleterre, où ce vil appât est offert à la cupidité par l’extrême liberté que les lois accordent aux testateurs !
Mais revenons à mon histoire d’enterrement. On garde ici les morts très longtemps dans leurs maisons, et l’on déteste comme un usage impie, l’empressement que nous mettons en France à enterrer les corps.
Malgré le froid, malgré la pluie qui nous fouettait fortement le visage, malgré son extrême faiblesse, la pauvre accouchée qui voyageait avec nous, n’avait pu rester dans l’intérieur de la voiture. Les Anglais ont un besoin inexplicable de respirer librement l’air si désagréable de leur pays. Cette jeune mère, sans proférer une plainte, nourrissait son nouveau-né au plus haut de la pyramide mouvante qui nous emportait : on chercherait difficilement hors de ce pays un pareil exemple de résignation, car la patience est une des grandes vertus des Anglais. J’ai remarqué que les Anglais rendent aux femmes, même les plus communes, des soins, des respects qui, sans avoir l’éclat de feue notre galanterie, me paraissent préférables à ces grâces affectées, parce qu’ils ressemblent à l’expression de sentimens réels »
Dans son Mémoire présenté à l’université de Lausanne en octobre 1999 consacré aux « Mémoires et Voyages » de Custine, Teresa Augusto énonce la thèse que nous sommes ici en présence de l’un des grands voyages du romantisme français.
« Enfin, « Mémoires et voyages », œuvre riche et fascinante, à l’écriture tantôt joyeuse, ironique et pleine d’humour, tantôt grave, solennelle et poignante, aura permis d’observer un aspect plus formel du genre littéraire impliqué ici : il s’agit des différents procédés d’écriture mis en œuvre dans les descriptions paysagères, magnifique illustration des premiers voyages romantiques ».
Assurément l’un des plus beaux exemplaires répertoriés relié en élégant demi-cuir de Russie de l’époque au chiffre de Catherine Moncada, Princesse de Materna (1795-1878).
Le volume provient de la bibliothèque d’Alphonse de Bauffremont, né en 1792 et mort en 1860, Duc de Bauffremont, prince de Bauffremont, pair de France, prince de Carency, chevalier de Saint-Louis. Il fut créé comte par Napoléon et devint aide de camp de Murat. Il se distingua à la bataille de la Moskowa, ainsi que dans la campagne de Saxe en 1813. Pendant les Cent-Jours, il fut chargé par Murat d’apporter à Napoléon des dépêches confidentielles. Comme il revenait en Italie, la police autrichienne l’arrêta et l’envoya à Paris. Plus tard, il prit quelque temps du service dans l’armée russe. Un décret du 26 janvier 1852 l’appela à siéger au Sénat. Il y vota notamment pour la loi dite de sûreté générale. Il épousa en 1822 Catherine Moncada, princesse de Materna, née en 1795 et morte en 1878, fille de Jean Louis Moncada, prince de Paterno et de Jeanne des Baux.
De la bibliothèque Louis de Sadeleer, avec ex-libris.


