La Muse chrestienne

Du Bellay, Joachim
Paris, Gervais Malot, rue Sainct Iacques, à l’enseigne de l’Aigle d’or, 1582. Avec privilège du Roy.
Prix : 55 000 €

Remarquable édition originale de La Muse chrestienne, œuvre conjointe de Du Bellay et Ronsard, l’un des deux exemplaires connus avec celui de Chantilly conservé dans sa superbe reliure à la fanfare de l’époque aux armes d’un pénitent proche du roi Henri III.

In-12, exemplaire réglé, marque de l’imprimeur sur la page de titre, bandeaux et lettrines. Maroquin olive, décor « à la fanfare vide », fer central en médaillon représentant une crucifixion aux plats, filets dorés en encadrement, décor similaire sur le dos lisse orné de fers à la « tête de mort », fleurs de lys, armes au centre et devise d’Henri III en queue, tranches dorées. Reliure parisienne de l’époque aux armes du roi Henri III.

143 x 80 mm.

Du Bellay, Joachim (1522-1560). La muse chrestienne, ou Recueil des poésies Chrestiennes tirées des principaux Poètes François avec un Discours de l’influence des Astres, du destin ou fatalité, de l’interprétation des fables et pluralité des Dieux introduits par les Poètes contenu en l’Avantpropos de l’Auteur de ce recueil.
Paris, Gervais Malot, rue Sainct Iacques, à l’enseigne de l’Aigle d’or, 1582. Avec privilège du Roy.

Édition originale fort rare de cette précieuse anthologie des poètes de la Pléiadeainsi composée :
- Pierre de Ronsard, 57 poèmes dont 3 avaient paru dans l’œuvre chrétienne de 1581.
- Joachim Du Bellay, 61 poèmes dont 2 avaient été publiés dans la Lyre Chrestienne de 1560, et, 10 de l'Œuvre chrestienne.
- Etienne Jodelle, 51 poèmes.
- Jean-Antoine de Baïf, 32 poèmes.
- Rémi Belleau, 24 poèmes dont 10 de l'Œuvre chrestienne, 1581.
- Philippe Desportes, 20 poèmes dont 17 de l'Œuvre chrestienne.
- Florent Chrestien, 1 pièce.
- Nicolas Denisot, 1 pièce.
- Pybrac (de), 1 pièce de 125 quatrains sur lesquels 100 avaient paru dans l’Œuvre chrestienne, et deux sonnets anonymes insérés dans l’avant-propos de l’auteur.

Ce recueil comprend 250 pièces dont deux sonnets anonymes insérés dans l’Avant-propos de l’auteur ; quarante-et-une avaient déjà paru dans l’Oeuvre chrestienne, 1581.

Il doit être compris à la fois comme une entreprise pieuse et comme une riposte. Ainsi le voulut son créateur, un jeune prélat de l’entourage du cardinal François de Joyeuse (à qui le volume est d’ailleurs dédié). Les mystérieuses initiales « I.C.T » cachaient en fait un érudit ecclésiastique toulousain : Jean Chabanel. L’idée de rassembler ces vers lui fut inspirée, avouet-il dans sa longue préface, par sa lecture de Platon. L’éditeur du recueil ne fit donc appel qu’aux « œuvres des six premiers & plus excellents Poetes que la France ait encore porté, trois desquels sont à present envie, & les autres trois trespassez : Ceux qui sont en vie sont Pierre de Ronsard, Jean Antoine de Bayf, & Philippe des Portes, auquel ce recueil de poesies a esté communiqué & mis en lumière de leur consentement : les trois qui sont trepassez sont Joachim du Bellay, Estienne Jodelle & Remy Belleau. » On découvre aussi, à la fin de la troisième et dernière partie de cette anthologie, les cent vingt-six célèbres quatrains gnomiques de Guy du Faur de Pibrac.

En réunissant les poèmes « les plus propres à nous exciter & attirer à l’amour de Dieu & à la piété Chrestienne », ce recueil se veut donc une réplique aux équivalents poétiques protestants : les Cantiques du Sr. De Maisonfleur et surtout les Poèmes chrestiens de B. de Montmeja et autres divers auteurs.
Le choix des pièces, notamment ronsardiennes, n’est donc pas anodin : on retrouve par exemple l’ensemble des vigoureux Discours politiques du Vendômois déplorant l’état du royaume ou saluant la victoire à venir sur « l’Hydre » infâme.

Parmi les pièces les plus fameuses, relevons l’élégie à Guillaume des Autels, la Remonstrance au Peuple de France ou le Discours des Misères de ce Temps. On trouve aussi, au feuillet 314 recto, le violent poème De Theodore de Beze heresiarche dont l’incipit est « S’armer du nom de Dieu et aucun n’en avoir… » : ce texte au vitriol est ici attribué à Ronsard. Les pièces choisies sont utilisées comme de véritables armes : ces vers sont « ceux qui peuvent servir de contre poison & preservatif contre le venin & la peste de ce monstre hydeux & beste puante qui cropit au lac de Geneve, & qui depuis quelques années a infecté l’air François, & donné misérablement en proye au fer & aux dissensions & guerres civiles tout ce pauvre Royaume » : la Réforme.

Lorsqu’une reliure fait pénitence.

Troublé par de fréquentes reprises des guerres de Religion, le règne d’Henri III coïncida avec une grande ferveur religieuse. Encouragé par son confesseur, le père jésuite Edmond Auger, le roi lui-même donnait l’exemple : sujet à des élans mystiques souvent morbides, il n’hésita pas à rejoindre des processions de pénitents, voire flagellants. Puis, en l’espace de deux ans, il créa quatre nouvelles congrégations religieuses, réunissant dans la prière la fine fleur de la noblesse française. Le premier (et le plus important) de ces groupes, fondé au mois de mars 1583, se nommait la « Congrégation royale des Pénitents de l’Annonciation Notre-Dame ».

Les volumes reliés durant ces années 1580 pour les membres de la Congrégation reflétaient la piété de leur propriétaire. Ces reliures, manifestement issues d’un même atelier, souvent décorées « à la fanfare vide », se présentent selon un modèle identique : une plaque centrale à sujet religieux (l’Annonciation ou, plus souvent, une Crucifixion, pour laquelle trois plaques différentes au moins furent gravées), souvent enchâssée dans l’ovale central de la composition « à la fanfare » ; un dos lisse décoré de haut en bas d’une tête de mort, des armes de France et de la devise latine propre à Henri III.

Louis-Marie Michon les a clairement identifiées comme des « reliures faites pour les confères de la congrégation royale », la présence du blason aux lys n’étant qu’un rappel du créateur de ce groupe. Mais les bibliographes ou catalogues anciens, devant ces armes royales et cette devise, n’hésitaient pas à donner les ouvrages ainsi reliés comme ayant fait partie des livres personnels d’Henri III. Le souverain possédait bien des volumes recouverts de plaques à sujet religieux, mais ils se distinguaient de ceux des autres membres de la Congrégation par la présence, au plat inférieur, des armes personnelles du Valois, accolant les écus de France et de Pologne.

La majeure partie des volumes ainsi revêtus était composée de textes liturgiques, de traités des Pères de l’Eglise ou d’ouvrages pieux. Certains textes étaient manifestement tenus en haute estime par les Pénitents, ce qui nous vaut d’en posséder aujourd’hui plusieurs exemplaires en « reliure de congrégation ». La Muse chrestienne fait figure de notable exception au sein d’un groupe bien identifié d’ouvrages de petit format aux très riches reliures ; c’est en effet le seul texte poétique connu dans cet ensemble. En dehors du présent volume, on ne recense qu’un seul autre exemplaire de ce recueil en reliure de congrégation, orné d’un décor strictement identique, il est conservé au sein de la très riche bibliothèque du château de Chantilly (VIIIG6).

Provenance : Entourage du roi Henri III (1551-1589), membre de la congrégation royale.
Alexis-Ferréol Perrin de Sanson, « ecuïer de Marseille » (ex-libris gravé armorié du XVIIIè siècle) ; baron Jean-Joseph de La Roche-Lacarelle (ex-libris ; catalogue de sa seconde vente, 1888, n°234) ; P. B. (Bibliothèque P.B. – Littérature classiques éditions originales : Corneille, Moliere, Pascal, Racine, Paris, 13 février 1978) : J.P. Barbier.

Références : Hobson & Culot, La Reliure en Italie et en France au XVIè siècle, n°64 ; Hobson, Les Reliures à la fanfare, n°218-235, l’exemplaire est répertorié sous le n°221 ; J.P. Barbier-Mueller, MBP, II, 100 ; N. Ducimetière, Mignonne…, 75 ; Diane Barbier-Mueller, Inventaire…, 907 ; Fabienne Le Bars, Les reliures de Henri III : une typologie, dans Henri III, mécène des arts, des sciences et des lettres, 2006, pp. 243-247 ; USTC 11734 ; Brunet, III, col. 1960 ; Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies du XVIè siècle, pp. 211-213.