Moralité de la vendition de Joseph filz du patriarche Jacob

Paris, 1533 [vers 1775].
Prix : 18 000 €

Unique exemplaire répertorié de la Moralité de la vendition de Joseph filz du patriarche Jacob calligraphié sur peau de vélin provenant des bibliothèques Méon (Paris, 15 novembre 1803) ; de Soleinne (8 janvier 1844, n° 621) ; Baudelocque (1850, n° 845) ; Desq (25 avril 1866, n° 628) ; Georges Petit de Grandvoir.

Petit in-folio de forme allongée, goth., de 79 ff. non chiffrés, plus le titre.
Edition en forme d’agenda. Au verso du dernier f. sont trois petites fig. en bois.
Maroquin bleu, plats à encadrement de roulettes et dentelles dorées, dos lisse orné de caissons dorés, doublures à encadrement de même peau orné de dentelles dorées, le centre et la garde en tabis rose, tranches dorées. Bradel l’Aîné, successeur du Sr Derome le Jeune son oncle, vers 1775.

260 x 92 mm.

Moralité de la vendition de Joseph filz du patriarche Jacob, comment ses freres esmeuz par enuye, sassemblerent pour le faire mourir, mais par le vouloir de Dieu apres lauoir piteusemēt oultrage le deualerent en vne cisterne, & enfin le vendirent a des marchans gallatides & ysmaelites, lesquelz de rechief le vendirēt Putifard en Égypte ou il fut aupres de Pharaon Roy dudict egipte, Lequel fut tempte de luxure par plusieurs iours de sa maistresse a laquelle il laissa son manteau & sen fouit, dequoy il en fut en prisō, mais peu de tēps aps il interpreta les songes de Pharaon, Et a faict si bōne puision en egipte q il a este dictz & appelle le saulueur de tout le pays, cōme plus amplemēt est escript en la saincte bible au trenteseptiesme & douze aultres chapitres en suyuant du liure de genese. Et est le dict Joseph figure de la venditiō de nostre saulueur Jhesucrist. xx. f. On les vēd a Paris en la rue neufue nostre dame a lenseigne. S. Nicolas. (au recto du dernier feuillet) : Cy finist la Moralité de la vendition de Joseph filz du patriarche Jacob Nouuellement imprimee a Paris pour Pierre sergent Demourant en la Rue neufue nostre dame a lenseigne sainct Nicolas. Vers 1533.

Exemplaire unique calligraphié vers 1775 sur peau de vélin par Fyot, célèbre calligraphe parisien, sur le seul exemplaire connu de cette moralité imprimé par Pierre Sergent à Paris vers l'année 1533.
Le titre est orné d’un dessin dans un double cadre représentant St Joseph et Jésus ; le verso du dernier feuillet est orné de 3 dessins dont l’un est le sceau de la Confrérie de Notre Dame de Liesse.

« On voit dans cette moralité la jeunesse de Joseph, fils favori de son père Jacob, et la jalousie de ses frères qui, agacés par les interprétations de ses rêves, le vendent à des Ismaélites, lesquels le vendent à leur tour à Putiphar, chef des gardes égyptiens au palais de Pharaon. Suivent les épisodes bien connus de la femme de Putiphar, qui tente de séduire Joseph ; l'emprisonnement de celui-ci ; l'interprétation des rêves du bouteiller et du panetier, puis de Pharaon, ce qui lui permet de prévoir les sept années d'abondance et les sept années de disette ; son rôle de gouverneur pendant la famine ; le traitement de ses frères qui viennent en Égypte lui demander du blé, sans le reconnaître, et les diverses épreuves que Joseph leur fait subir ; la réunion avec son père et la révélation de son identité ; la famine en Égypte ; et enfin la mort de Jacob.

L'édition publiée par Pierre Sergent comprend 6914 vers. C'est cette version du mystère qui fut jouée un peu avant 1538 par la Confrérie Notre-Dame-de-Liesse ; l'une des trois gravures sur bois que l’on trouve au dernier feuillet de cette édition est le sceau de la Confrérie.

Pour ce qui est du texte publié par Pierre Sergent, nous en conservons un seul exemplaire de 80 feuillets, publié probablement entre 1532 et 1538, dont un propriétaire (le premier ?) note l'achat le 2 juillet 1 538. C'est cette édition qui avait été jouée par la Confrérie parisienne de Notre-Dame-de-Liesse. Elle a ceci de particulier que c'est un in-folio de format agenda, c'est-à-dire long, étroit et à une colonne de texte, soit dans un format que l'on pouvait utiliser facilement lors d'une représentation. On y relève aussi de nombreuses indications scéniques.

La Vendition, dans la version Sergent, exige cinquante rôles parlants.
La Vendition est un mystère dans lequel le costume n'est pas un facteur purement décoratif ; en effet, à plusieurs reprises, il joue un rôle crucial dans l'intrigue. Le personnage de Joseph devait disposer d'au moins quatre costumes différents. À la fin de la première journée, la dernière réplique prononcée par Joseph est précédée de la didascalie suivante : « La fin du petit Joseph ». Sa première réplique de la seconde journée est précédée de la didascalie : « Joseph le grant commence ». Il est donc presque certain que l'acteur qui joua Joseph pendant la première journée était un enfant ou un adolescent, et qu'il fut remplacé par un adulte pour la seconde journée. Ce changement nécessitait probablement un changement de costume. Mais, comme on le sait, la légende de Joseph tourne autour des vêtements portés par le héros. Jacob n'hésite pas à avouer qu'il aime mieux Joseph que ses autres fils, ce qui provoque la jalousie des frères de Joseph. Jacob démontre cette préférence en donnant à Joseph la « cotelle polimite », la « tunique ornée ».

Les « Mystères » ou « Moralités » attiraient, du moins jusqu'en 1541, toute la gamme du public parisien.
Ainsi les amateurs de « Mystères parisiens » ou « Moralités » comprenaient à la fois le roi, la reine et la cour, des gens de robe fort influents, comme Pierre Hémon, « huissier des générales de la justice des aydes a Paris », et Gilles Borel, « praticien en cour laye », des peintres, des boulangers, des artisans urbains et des laboureurs de campagne. C'était un théâtre apprécié par toutes les classes sociales, par les gens instruits et par le menu peuple. Ce ne fut qu'à partir de 1541 que la première opposition se fit sentir, en la personne du Parlement de Paris. Vingt ans plus tard, les débuts de la tragédie humaniste signifièrent, à Paris et ailleurs, la rupture définitive entre le théâtre « populaire » et le théâtre des intellectuels. » (Graham A. Runnalls).

Apparue à la fin du XIVè siècle, la moralité fr., qui a ses homologues en Angleterre (Everyman, Mankind, The Castle of Perseverance) puis en Espagne (autos sacramentales), se propose de faire percevoir au public une réalité qui importe à la bonne marche de la société, à la pureté de l’Église au salut individuel, mais qui est généralement dissimulée derrière les apparences sensibles, sous l'effet de la recherche du plaisir ou par la duplicité des dirigeants. Le dévoilement et la visée didactique vont de pair et la moralité recourt régulièrement à la personnification allégorique. Les personnages peuvent être des représentants de l'humanité, bonne ou mauvaise (L'Homme pécheur), d'un groupe humain (Labeur, Marchandise, l'Enfant), d'une institution (l'Église), d'une faculté, d'une vertu (Connaissance, Raison) ou d'un vice, etc. Comme dans la littérature narrative, on peut personnifier n'importe quel substantif susceptible d'être employé dans la langue sans article, virtuellement ou à titre de nom propre, en faire un personnage et lui donner un rôle. Les moralités les plus longues, souvent tenues pour les plus caractéristiques, remontent au XVe siècle.
Le souci pédagogique évident de la moralité se traduit par des sujets qui prônent une éducation traditionnelle et stricte (Moralité des Enfants de Maintenant : Maintenant est un boulanger, ses deux fils sont élevés par Finette, sa femme, selon les conceptions nouvelles et le père n'a que le temps de mettre le holà).

Toutefois, le nom de moralité a été donné, au XVIe siècle, à une gamme beaucoup plus étendue et variée de jeux dramatiques.
La censure a tenté a bien des reprises d’interdire ce théâtre : on ne compte pas les arrêts qui font défense aux régents et aux écoliers des collèges de jouer « farces et moralités » : on profitait en effet de la licence traditionnelle des jours de fête, Épiphanie et Carnaval, pour monter des jeux qui n'étaient pas toujours innocents, malgré les dénégations. Souvent aussi les autorités soumettaient les pièces à une censure préalable. À côté de la prédication et de l'imprimerie, le théâtre conservait toute son importance comme moyen de propagande et la moralité procurait à un public subtil le plaisir de déchiffrer les allusions derrière les conventions des déguisements, des gestes et des dialogues. Si la moralité a disparu (on ne trouve plus, à partir de 1572, que de rares titres comportant ce mot), ce n'est pas parce qu'elle ne pouvait plus servir, mais pour des raisons de doctrine littéraire. On écrit et on joue encore longtemps des pièces qui ressemblent peu ou prou aux moralités, mais on les appelle comédies ou tragédies. De nombreux théoriciens de la Renaissance soulignent la parenté qui unit la tragédie et la moralité ; selon Du Bellay, cette dernière a usurpé la place de la tragédie. L'importance des enjeux, la dimension religieuse, le recours à l'histoire et à la mythologie et, malgré bien des exceptions et des entorses, la noblesse du ton pouvaient justifier un tel rapprochement, que Thomas Sébillet nuance en remarquant que la moralité peut finir bien ; il distingue deux catégories de moralités selon qu'elles reposent ou non, sur des allégories et approuve le mélange des tons et celui des formes versifiées. D'autres théoriciens et des auteurs dans leurs préfaces, comme Jodelle et Jean de La Taille, emboîtant le pas à Du Bellay, se moquent de l'allégorie et condamnent la moralité. Cette dernière a toutefois trouvé un défenseur en Guillaume des Autels, auteur lui-même de deux Dialogues moraux, qui résume, dans sa Réplique à Louis Meigret, le dessein du genre en une formule définitive : « montrer les choses intelligibles et occultes par les sensibles et manifestes ».

Le prince d’Essling, André Masséna, a commandé la réimpression de cet ouvrage en facsimilé en 1835.

Seul exemplaire répertorié de ce ravissant et précieux manuscrit sur peau de vélin établi par Bradel l’Aîné en maroquin et à la provenance prestigieuse.

Provenances : 1/ M. Méon (vente Bleuet, Paris, 15 novembre 1803, n° 2016).
2/ M. de Soleinne (Vente Commendeur, Paris, 8 janvier 1844, n° 621).
3/ Baudelocque, 1850, n° 845.
4/ M. Desq (vente Delbergue-Cormont, Paris, 25 avril 1866, n° 628).
5/ Georges Petit de Grandvoir.