Un Spectacle dans un fauteuil

Musset
Prix : 55 000 €

Edition originale « fort rare » (M. Clouzot) de cette œuvre importante de Musset.

Le superbe exemplaire d’Honoré de Balzac, relié pour lui ; le plus précieux cité par Carteret.

Provenance : Honoré de Balzac (château de Beauregard) ; Alphonse Parran (1921) ;

Maurice Escoffier (1934) ; Merle (1945).

In-8 de (2) ff., 288 pp., (2) ff.

L’ouvrage formant première livraison : poésie, contient : Au lecteur. Dédicace. La Coupe et les lèvres. À quoi rêvent les jeunes filles. Namouna.

2 in-8 de I/ (2) ff, vii pp., 366 pages, (1) f. ; II/ (2) ff., 353 pp. (1) f.

Tome I : seconde livraison, contient : Lorenzaccio, Caprices de Marianne et Fragment du livre XV des Chroniques florentines.

Tome II : seconde livraison, contient : André del Sarto. Fantasio. On ne badine pas avec l’amour. La Nuit vénitienne.

3 volumes in-8. Demi-cuir de Russie rouge, dos lisses ornés de filets dorés et fleurons à froid, plats de papier dominoté, lettres dorées. Reliure de l’époque réalisée pour Honoré de Balzac.

218 x 134 mm.

Éditions originales.

Carteret, II, 189-190 ; Escoffier 995 (cet exemplaire) ; Clouzot 215.

« Ensemble fort rare, les deux derniers volumes, de prose, ayant été partiellement détruits. Exceptionnel en reliures d’époque de qualité » (M. Clouzot).

Importante et rare publication de Musset, alors âgé de 23 ans, qui comprend certaines des œuvres majeures de l’écrivain parmi lesquelles : A quoi rêvent les jeunes filles, Lorenzaccio, On ne badine pas avec l’amour, ou encore La nuit vénitienne.

Carteret, qui cite cet exemplaire, indique que « Bulloz suggéra à Charpentier l’idée de publier les œuvres de Musset dans sa collection in-12 (…) en sacrifiant pour la réussite de cette affaire un certain nombre d’exemplaires de son édition in-8 qui restaient dans la librairie de la Revue [des deux mondes]. Ceci explique la grande rareté de ces deux volumes en prose ». (Carteret, II, p. 190).

Ce recueil est précédé d’une dédicace en vers qui donne des renseignements très intéressants sur l’inspiration poétique de Musset et son attitude à l’égard du mouvement littéraire de l’époque : il se donne pour le jouet de l’inspiration dans toute la force du terme (« On n’écrit pas un vers sans que tout l’être ne vibre »). Aucun auteur avant lui n’avait ainsi introduit son lecteur dans le processus de sa création poétique avec autant d’exactitude, mais aussi de détachement de soi-même. Il est loin de proposer son cas comme un exemple valable pour tous. Mais cette préface découvre aussi quel abîme sépare Musset de ses contemporains : au lendemain de 1830 – triomphe du mouvement romantique -, le jugement de l’auteur sur les lettres de son temps est des plus pessimistes : « Aujourd’hui l’art n’est plus… », dit-il tout crûment ; et il se livre à une protestation d’indépendance absolue en faveur de l’art pur, loin des engagements politiques et des préoccupations religieuses qui absorbèrent parfois un Hugo ou un Lamartine. Les trois poèmes qui composent le recueil illustrent assez cet état d’esprit.

La Coupe et les Lèvres, œuvre étrange, assez obscure, se présente comme un « poème dramatique » en cinq actes. Il est en réalité à peu près inadaptable à la scène ; et, bien moins qu’un drame, il y faut avoir une confession de l’auteur faite avec une entière liberté. Le véritable sujet, mal accessible, semble bien être la peinture du caractère principal, Frank, un double de l’auteur, et l’une des plus parfaites figures du héros romantique. C’est l’être d’exception, à la nature riche, en qui se mêlent la force et la générosité de l’homme primitif, les vices et la faiblesse de l’homme civilisé. Il est tout entier livré au désespoir, par quoi s’exprime la protestation de son hérédité profonde et saine contre une société qui l’emprisonne et le corrompt. Frank vit en communion avec les puissances les plus obscures et les plus instinctives de la nature humaine. Il voudrait n’écouter que son instinct, qui le pousse vers Deidamia, la jeune fille éthérée, la sylphide qui symbolise une pureté originelle dont il est déchu. Mais La Coupe et les Lèvres n’est rien moins qu’une œuvre révolutionnaire. Musset sait bien que la marque sociale est indélébile : aussi, lorsque son héros va rejoindre Deidamia et boire la coupe du bonheur, reparait l’ignoble Belcolore, symbole du vice dont il est prisonnier, figure d’un destin fatal qui brise la coupe et emporte Frank avec elle.

– Très différente est l’atmosphère de la charmante comédie, imitée de Shakespeare, A quoi rêvent les jeunes filles : l’élément théâtral y disparaît, comme dans l’œuvre précédente, dans une évocation lyrique qui efface presque complètement les limites du rêve et de la réalité. Les personnages ont une transparence qui les rend à peine terrestres : soit Silvio, jeune homme chaste et idéaliste, soit le vieux duc Laërte qui, ayant décidé de marier une de ses filles à Silvio, s’arrange cependant pour qu’avant leur mariage Ninon et Ninette connaissent une sorte de petit roman d’amour et les douces rêveries au clair de lune que souhaite leur cœur romantique. Ce jeu agréable, où l’on sent quelque réminiscence d’un Marivaux purifié et idéalisé, se termine, très bien, par un mariage bourgeois. Mais bien plus que l’intrigue importent les figures, si fines, de Ninon et de Ninette : ce sont bien des vraies jeunes filles, les premières peut-être de notre littérature.

– Dans Namouna enfin, Musset reprend cette confession commencée dans La Coupe et les Lèvres : comme chasseur Frank, Hassan, le héros du poème, est partagé entre la plus noble figure de l’amour et son besoin de plaisirs immédiats et faciles. C’est une nouvelle incarnation de don Juan : jeune homme aux figures multiples, comme Musset lui-même, parfois jouisseur dédaigneux, plus souvent brûlé jusqu’au cœur, même par ses passions de hasard. Sans doute est-il inconstant : mais, chez lui, c’est faiblesse, non plaisir. Au fond de son cœur, tout comme Frank portait le rêve de Deidamia, Hassan, dans la pire débauche, traîne le désir d’un attachement absolu, de l’amour total et unique, l’image de cette femme irréelle et pourtant espérée par toute sa chair, qui serait la « femme de son âme et de son premier vœu ». Mais combien son image réelle est différente de celle dont il rêve !

Par ce triptyque, Musset prenait possession de lui-même ; il affirmait son originalité et, au milieu du silence général, Sainte-Beuve, qui voyait dans le Spectacle le sommet de l’art de Musset, et Bulloz, qui offrit au poète son amitié et le fit entrer dans La Revue des deux mondes, furent les seuls à ne pas s’y tromper. Sans doute y avait-il dans ces pièces une certaine faiblesse de composition, parfois un style déclamatoire, souvent des digressions un peu forcées. Mais aussi que d’agilité, de jeunesse, de délicatesse alliées à un désespoir dont on ne pouvait douter qu’il était sincère !

Exceptionnel et superbe exemplaire provenant de la bibliothèque de Honoré de Balzac et relié pour lui en demi-reliure rouge.

Non rogné et exempt de toute rousseur, l’exemplaire fut relié à l’époque pour Honoré de Balzac en demi-reliure rouge avec un décor alternant fleurons à froid et filets dorés. Les exemplaires provenant de la bibliothèque de Balzac sont préservés à la Maison de Balzac mais rares en mains privées.

L’exemplaire le plus précieux et le plus cher cité par Carteret.

Provenance : Honoré de Balzac (2ème vente de Mme de Balzac – autrefois Hanska – château de Beauregard, 5 mars 1882 ; Alphonse Parran (vente novembre 1921, n° 587) ; Maurice Escoffier (n° 995 de sa vente en 1934) ; Merle (catalogue de 1945, n° 300).