Psautier ferial
Le Psautier enluminé sur vélin de la célèbre famille d’Urfé : Pierre II d’Urfé (1430-1508) ; Claude d’Urfé (1501-1558) ; Anne d’Urfé (1555-1621), frère d’Honoré d’Urfé ; Diane de Châteaumorand (1561-1626).
Avec 7 grandes miniatures par l'artiste désigné comme « Exécutant principal des Statuts de l'Ordre de Saint-Michel », proche du « Groupe Colaud », parfois désigné comme « associé privilégié d'Etienne Colaud ».
166 ff., avec ff. 164-166 blancs à l'exception d'une marque de provenance au recto du f. 166, feuillets précédés et suivis de deux feuillets de garde de papier, manuscrit complet [collation : i2, ii8+1 (singleton inséré en début de cahier), iii-xxi8], parchemin très fin, écriture humaniste à l'encre brune, d'une grande régularité par un calligraphe fort soigné, 22 longues lignes par page (justification : 55 x 90 mm), réglure à l'encre rouge pâle, quelques signatures anciennes, rubriques en rouge, bout-de-lignes en rouge ou bleu avec décor doré à l'or liquide, initiales de 1- à 2 lignes de hauteur peintes en rouge ou bleu avec décor doré à l'or liquide, plus grandes initiales marquant les grandes divisions fériales tracées à l'or liquide sur un fond bleu avec rehauts blancs, une grande initiale introduisant le psaume 1, initiale B peinte en bleu avec rehauts blancs sur un fond rouge foncé avec décor doré (5 lignes de hauteur), avec 7 grandes miniatures inscrites dans des encadrements architecturaux enluminés (la première miniature à pleine page, placée en frontispice ; les autres placées au-dessus de quelques lignes de texte).
Velours cramoisi, plats ornés de 4 écoinçons métalliques ouvragés et un cabochon central, dos muet, tranches dorées, gardes de papier marbré peigné ; deux fermoirs métalliques ouvragés formant les lettres « P » et « J ». Légères marques d'usure sur les coupes et aux coiffes ; petite fente au mors supérieur du premier plat. Intérieur en parfait état (quelques taches éparses, sans gravité). Manuscrit sous emboîtage moderne articulé, demi-maroquin rouge, doublure de maroquin, lettres dorées au dos « Psautier d'Urfé ». Reliure en excellent état de conservation vers 1840.
Miniatures en superbe état.
Dimensions du manuscrit : 100 x 160 mm ; dimensions de la reliure : 110 x 167 mm.
Psautier férial. En français, manuscrit enluminé sur parchemin.
Paris, début XVIe siècle.
Manuscrit dans un état de fraîcheur remarquable avec des couleurs chatoyantes et des inscriptions anciennes du XVIe siècle qui font remonter ce manuscrit à une grande famille du Bourbonnais, celle des d'Urfé, célèbre famille de bibliophiles, de mécènes et de littérateurs.
Admirablement calligraphié par une main française imitant l'humanistique italienne, ce manuscrit contient les Psaumes de David suivis des textes des cantiques, illustrés d'un cycle iconographique de sept miniatures peintes par un artiste parisien proche d'Etienne Colaud, dit « l'associé privilégié » de Colaud, ou « Exécutant principal des Statuts de l'Ordre de Saint-Michel » avec lequel Etienne Colaud entretenait des liens étroits.
Ce manuscrit présente un cycle iconographique fort original, car il s'agit bien plus d'illustrer la biographie de David, que le contenu des psaumes bibliques.
L'artiste qui a peint ce Psautier fut baptisé d'après les œuvres réalisées pour les manuscrits des Statuts de l'ordre de Saint-Michel dont on recense seize manuscrits et un feuillet isolé. Cet artiste fut baptisé « Exécuteur principal des Statuts » car on lui attribue un certain nombre de manuscrits des Statuts commandés par le roi François Ier (18 manuscrits en 1523 ; 6 manuscrits en 1528) (voir Cousseau, 2016, pp. 116-117 ; et travaux antérieurs de Paul Durrieu (1911)).
Si l'on accepte que ce manuscrit fut commandité par Claude d'Urfé (150l-1558) plutôt que son père Pierre II d'Urfé comme il a été suggéré sur la garde (voir provenance ci-dessous), cela rajouterait les d'Urfé comme commanditaires auprès de notre artiste parisien dit « Exécuteur principal des Statuts » lié au « Groupe Colaud ». Rappelons que Claude d'Urfé était un amoureux des arts et belles-lettres et mécène de la Renaissance en Forez : il constitue dans son château de la Bâtie une bibliothèque considérable de plus de 4600 ouvrages dont près de 200 manuscrits. Nous avançons une hypothèse : intime de François Ier, puis ambassadeur du même puis d'Henri II, Claude d'Urfé a profondément transformé le Château de la Bâtie d'Urfé (dept. de la Loire) qu'il occupait avec son épouse Jeanne de Balsac d'Entraigues (mariés en 1532), sœur de Pierre de Balsac et donc belle-sœur d'Anne de Graville. Or nous savons que l'artiste qui nous occupe a peint, en collaboration avec Etienne Colaud, le beau manuscrit du Roman de Palémon et Arcita (Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 5116 ; voir Cousseau, 2016, pp. 169-170) d'Anne de Graville ; on peut donc penser qu'il a été présenté à Claude d'Urfé et sa femme Jeanne de Balsac par l'intermédiaire d'Anne de Graville, poétesse et traductrice, sensible aux beaux manuscrits peints par des artistes. Parmi les autres commanditaires de cet artiste, citons les familles de Lévis, Duprat, d'Albret, Villiers de l'Isle-Adam, le dauphin François (mort en 1536).
Provenance
Manuscrit copié et enluminé à Paris, sur des bases stylistiques et paléographiques. Le copiste a finement calligraphié les feuillets qui composent ce manuscrit, en caractères romains d'une grande régularité. Cette calligraphie est certes attestée plus tôt dans le siècle, vers 1500 dans des manuscrits de luxe tels ceux copiés pour le Cardinal d'Amboise pour figurer dans sa bibliothèque de Gaillon, inspirés des manuscrits italiens humanistiques, en rupture avec la tradition graphique en France (voir par exemple le Flavius Josèphe, Paris, Bibliothèque Mazarine, MS 1581 ; Sénèque, Epistolae, Paris, BnF, latin 8851). L'écriture en caractères romains du présent Psautier est à rapprocher d'autres manuscrits du « Groupe Colaud », par exemple les Heures décrites par H. Tenschert en 1994 (Lechtendes Mittelalter VI. 44 Manuskipten aus Frankreich, Flandern, Holland, England..., Ramsen I Rottalmunster, H. Tenschert, 1994, no. 76 ; voir Cousseau, 2016, p. 139, fig. 10), datables vers 1528-1530 ; ou encore, Collection privée, Livre d'heures daté et signé Etienne Colaud, 1512 (voir Cousseau, 2016, fig. 20 et 21), présentant des bout-de-lignes similaires à ceux du présent Psautier.
L'enlumineur parisien de ce manuscrit est très certainement celui que Marie-Blanche Cousseau (2016) nomme « l'Exécutant principal des Statuts de l'Ordre de Saint-Michel », un artiste dont elle définit l'œuvre souvent confondue avec celle d'Etienne Colaud (enlumineur et libraire actif à Paris de 1512 (manuscrit daté et signé) à 1541) et qui serait un « associé privilégié d'Etienne Colaud ». Cet artiste est responsable d'une douzaine de manuscrits datables de circa 1518 à 1531 (voir Cousseau, 2016, pp. 215-216). L'étude de Marie-Blanche Cousseau, fort éclairante, consacre un chapitre à cet artiste (Cousseau, 2016, pp. 215-227 ; voir aussi pp. 167-172).
2 - Manuscrit dont la première possession a été donnée à Pierre II d'Urfé (1430-1508). Une note autographe de la main d'Anne d'Urfé (voir ci-dessous) à l'encre brune figure au recto du premier feuillet de garde : « Ce sautier a esté a messire Pierre d 'Urfé, Grand escuier de France, cappitaine de cent hommes d'armes gouverneur et lieutenant général pour le Roy au pais du Liège, Grand Sénéchal de Beaucaire et bailli de Forestz ». Pierre d'Urfé avait été nommé écuyer du roi Charles VIII en 1483 et bailli de Forez en 1487.
Pour des raisons stylistiques, il nous semble difficile de soutenir que ce manuscrit ait appartenu à Pierre II d'Urfé, qui meurt en 1508, donc certainement avant son exécution. Cette marque de possession est suggérée par celui qui signe « Tande d'Urfé » (voir ci-dessous), à savoir Anne d'Urfé (1555-1621) qui pensa sans doute que le manuscrit avait appartenu à son aïeul Pierre d'Urfé.
Pour des raisons chronologiques, il est plus probable que ce livre appartint à Claude d'Urfé (1501-1558), fils de Pierre II d'Urfé et donc grand-père d’Anne d'Urfé. Un ancien inventaire de la Bibliothèque de la Bâtie, retranscrit d'une main du XVIIIè siècle (éd. par André Vernet, « Catalogue de la bibliothèque de la Bâtie, Amsterdam, Univ. Bibl., Remonstrantsche Kerk, III, C. 21 », Claude d'Urfé et La Bâtie. L'univers d'un gentilhomme de la Renaissance, Conseil général de la Loire [1990], pp. 188-189), recense 134 volumes manuscrits, dont 3 psautiers : 35. Psalterium davidicum, manuscriptum in charta verucina. 38. Psalterium et Manuale orationum, illustratum figuris, manuscriptum in charta verucina. 53. Psalterium cum glossa, manuscriptum in charta agnina. Notre manuscrit correspond assez bien à la description du second, mais dans une autre reliure car le catalogue précise plus bas : « Tous les livres cy dessus ont la tranche dorée, sont reliés en velours vert avec deux escussons des armes d'Urfé au milieu de chaque couté et aux quatre coins de la reliure un sacrifice, des devises et des chiffres, le tout de cuivre doré en relief ». La reliure du présent manuscrit est postérieure.
3 - Anne d'Urfé (1555-1621), comte de Tende, seigneur d'Urfé, poète français et savoisien, frère d'Honoré d'Urfé. Note autographe sur le second feuillet de garde : « Le Comte de Tande, seigneur d'Urfé /Baron de Châteaumorand, gentillomme ordinaire de la chambre du Roy et pour sa majesté / baillif de Forestz, a donné ce sautier a / Diane de Châteaumorand sa femme pour le donner à Gillebert du Bostz pour une discression / qu'elle luy doit, ce XVè novembre 1575 / Tande d'Urfé ». Anne d'Urfé, petit-fils de Claude, avait épousé la très jeune Diane de Chenillac de Châteaumorand en 1574 qui a treize ans au moment du mariage (et dix ans au moment de la signature du contrat). Leur mariage fut annulé en 1598, Anne d'Urfé entrant alors dans les ordres et Diane épousant son beau-frère Honoré d'Urfé (1567-1625), célèbre auteur de L'Astrée.
4 - Diane de Châteaumorand (1561-1626), née Lelong de Chenillac - une famille protestante - femme du précédent (Anne d'Urfé, mariés en 1574), puis épouse d'Honoré d'Urfé, comte de Châteauneuf, fils de Jacques d'Urfé (Forez) et de Renée de Savoie-Tende (Savoie). A noter que Diane de Châteaumorand a onze ans en 1575 lorsque son mari Anne d'Urfé donne ce Psautier à sa nouvelle épouse.
5 - Gilbert de Bostz de la famille des Bourbon-Parme.
6 - Stéphane Chappoton. Ex-libris manuscrit à l'encre rouge au recto du feuillet 166 : « Ex libris Lombard 1747 ex hereditate Stephani Chappoton ».
7 - Stéphane Lombard. Ex-libris manuscrit à l'encre noire sur le second feuillet de garde : « Sthephanus Lombard a Lyon le 30 septembre 1749 ».
8 - Félix-Bienaimé Feuardent (1819-1907), numismate et antiquaire renommé de Cherbourg, son ex-libris imprimé contrecollé sur le contreplat supérieur.
9 - Librairie Giraud-Badin (Paris), Catalogue du 28 janvier 1935, no. 19.
10 - Collection Robert Beauvillain, avec sa vignette ex-libris.
Illustration
Ce manuscrit contient sept miniatures à pleine page. Le cycle iconographique « classique » des psautiers fériaux en contient traditionnellement huit, mais ici le copiste a choisi de copier les psaumes 68 à 96 sans interruption, et donc il n'était pas prévu d'illustrer le psaume 80. II n'y a aucun manque textuel et les sept miniatures présentes introduisent les psaumes 1, 26, 38, 52, 68, 96, 109.
L'artiste des présentes miniatures propose un cycle davidien tout à fait original, qui tranche avec les cycles classiques. Il s'est attaché à rendre des scènes rares de la vie de David, à la manière de romans de chevalerie. On notera la grande maîtrise de l'artiste et son sens du drame et du mouvement, souligné par une palette vive et chatoyante, faisant de chaque miniature de véritables petits tableaux.
f. 1, David égorge Goliath, géant envoyé par les Philistins, qu'il vient de terrasser [Psaume 1] (voir I Samuel, 17 : 25) ; f. 25, Micol, seconde fille du roi Saül et première épouse de David, fait descendre David par la fenêtre dans un panier, près de la porte de la ville dans laquelle s'engouffrent des soldats [Psaume 26] (voir I Samuel 19: 12) ; f. 39, David, assis sur son trône, joue de la harpe ; devant lui, Saül s'apprête à sortir son épée du fourreau ; une lance dorée, en suspens devant le roi, est dirigée contre Saül (si l'on accepte cette identification iconographique, Saül est ici figuré en armure ; on connait le topos iconographique de David jouant de la harpe pour Saül qui veut le tuer mais la lance est dirigée contre David ; voir par exemple dans le Speculum humanae salvationis, Marseille, BM MS. 89) [Psaume 38] ; f. 52, Décapitation des prêtres de Nob. Doëg 1'Edomite décapite Ahimélek et les autres prêtres [Psaume 52] ; f. 64v, David sort de la tente de Saül endormi qu'il a épargné, malgré la volonté d'Abishaï (neveu de David) ; David s'est emparé de la lance et de la cruche à eau de Saül [Psaume 68] ; f. 95, Absalom, troisième fils de David, en armure est pendu par les cheveux aux branchages d'un chêne, pendant que Joab le transperce de sa lance (Absalom meurt dans la forêt d'Ephraïm attaqué par les troupes de son père) [Psaume 96] ; f 111v, David, agenouillé, ayant posé sa harpe et son chapeau sur le sol, se repent. Dans le ciel, l'ange brandit une épée [Psaume 109].
Bibliographie
Cousseau, Marie-Blanche. Etienne Colaud et l'enluminure parisienne sous le règne de François Ier. Préface de François Avril, Tours et Rennes, 2016. Durrieu, Paul. Les manuscrits des Statuts de l'ordre de Saint-Michel, Paris, 1911. Orth, Myra. Renaissance Manuscripts. The Sixteenth Century, London-Tumhout, Harvey Miller Publishers, 2015. Vernet, André. « Les manuscrits de Claude d'Urfé (1501-1558) au château de la Bastie », in Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 120, 1976, pp. 81-97. Zammit Lupi, Theresa. Cantate domino. Early Choir Books for the Knights in Malta, La Valette, 2011.



