Belle et intéressante lettre autographe de Prosper Mérimée à son ami Charles d’Aragon.
« Augustin Filon voyait juste qui déclarait qu’une édition générale de la correspondance de Mérimée révélerait aux historiens du XIXe siècle des renseignements analogues à ceux qu’a fournis pour le XVIIIe siècle la publication de la correspondance de Voltaire. »(Jacques Guignard).
Mérimée, Prosper. LAS adressée à Charles d’Aragon.
Le Mans, 11 août [1835].
3 pages in-4
256 X 203 mm.
Cette lettre est adressée à Charles d’Aragon (1812-1848), auditeur au Conseil d’Etat en 1835, député du Tarn de 1846 à 1848 et ami proche de Mérimée.
« De tous les portraits que Mérimée nous a laissés dans sa correspondance les plus attachants demeurent sans aucun doute ceux qu’il a donnés de lui-même et qui valent surtout par leur naturel.
Le modèle, avouons-le, force la sympathie.
C’est un caractère bien trempé. On le constate dès l’abord, à voir avec quelle sureté il dirige son existence – cette existence qui « commence avant Iéna pour finir après Sedan »-et dont la voie semble tracée dès le début avec une prescience infaillible : Mérimée n’a pas dix-huit ans qu’il traduit les poèmes d’Ossian ; deux ans plus tard, il se lie d’amitié avec Stendhal…
De cette année datent les premières lettres recueillies de Mérimée.
Ce sont encore les lettres d’un jeune homme à ses maîtres. Bientôt, pourtant, Mérimée se trouve « au sein des choses et des luttes de chaque jour».
On le rencontre partout : dans les milieux artistiques et littéraires comme dans le monde de la politique, dans les salons et dans les ministères. Pendant cinquante ans ses lettres nous offrent le tableau de « la vie d’une société qui a connu trois rois, deux empereurs, deux républiques ».
Augustin Filon voyait donc juste qui déclarait qu’une édition générale de la correspondance de Mérimée révélerait aux historiens du XIXe siècle des renseignements analogues à ceux qu’a fournis pour le XVIIIe siècle la publication de la correspondance de Voltaire.
Les médiévistes y trouvent aussi leur compte, et d’abord les archéologues.
Le 17 mars 1834 le Moniteur annonçait la nomination de Mérimée comme inspecteur général des monuments historiques et l’on sait avec quel zèle l’auteur de la Vénus d’Ille s’employa sans retard à la sauvegarde de nos richesses artistiques. »
(Jacques Guignard, Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 1942, Vol.103, N°103, pp.291-294).
Mérimée (1803-1870) restera au service de la protection des monuments anciens pendant 25 ans.
Sa correspondance répond à la question qui lui était posée et qui était de définir au nom de quels concepts l’Etat pouvait s’opposer aux effets inéluctables du temps et à la disparition de monuments du passé. Sa fonction d’Inspecteur général, qu’il occupe du 27 mai 1834 jusqu’en 1860, le met en contact avec les milieux archéologiques de son époque, à Paris, en province, et à l’étranger.
Fin juillet 1835, Mérimée entame un voyage dans l’ouest de la France.
Le 28 juillet 1835, il quitte Paris pour la Bretagne. Il se rend à Chartres, Alluye, Bonneval, Marboué… Puis le Mans, Sablé, Laval, Vitré, Rennes, Dinan, Dol, Saint-Malo…
Dans cette lettre il revient sur le déroulement de ce voyage et sur la mission qui lui incombe de dresser un inventaire du patrimoine français.
On sait que ses notes de voyage formeront la base d’un ouvrage littéraire qu’il publierait plus tard.
L’écrivain évoque à plusieurs reprises le climat politique tendu au mois d’août 1835.
À l’occasion de l’anniversaire de la révolution de Juillet, le 28 juillet 1835, un attentat est commis contre le roi Louis-Philippe. La France est en état de choc.
Mérimée : « On a sifflé les troupes criant vive le roi à la revue dimanche et il y a tous les jours des articles abominables dans les journaux… L’on envoie continuellement des détachements battre le pays…».
Cette lettre adressée à un ami proche permet aussi à Mérimée d’évoquer leurs relations sociales et amoureuses. Tous deux fréquentent alors des femmes entretenues, des demi-mondaines.
Entre 1831 et 1836, Mérimée entretient une liaison avec Céline Cayot, actrice au Théâtre des Variétés et à l’Opéra, qui, à la regarder vivre dans les lettres de Mérimée, était pittoresque et sympathique.
Dans une lettre datée du 21 février 1835, il se confiait à Charles d’Aragon : «Je suis également en froid avec MIle C[ayot]. Cette fille m’aime trop et il m’en vient des remords de temps en temps.»
Sa liaison avec Céline Cayot, rompue en 1836, lui inspirerait sa nouvelle intitulée Arsène Guillot, nouvelle qui serait « l’unique larme de son œuvre brillante et froide» selon Augustin Filon.
Dans cette lettre Mérimée évoque Céline Cayot : « Vous ne me donnez pas de nouvelles de Céline. Je voudrais qu’elle m’oubliât… ».
Belle intéressante et émouvante lettre qui illustre la complicité entre les deux hommes sous fond de climat politique tendu alors que le régime de la monarchie de Juillet tente de se consolider.
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