Description
« Depuis Rabelais, le génie gaulois
n’avait rien produit de plus brûlant » (Yves Cazaux).
Premier tirage, rarissime, demeuré inconnu d’Yves Cazaux,
le bibliographe de référence de La Satyre Ménippée,
conservé dans sa remarquable reliure en vélin ivoire de l’époque.
Chrestien, Florent (1541-1596). Satyre Ménippée. De la Vertu du Catholicon d’Espagne, et de la tenue des Estatz de Paris.
Suivi de : Suitte du Catholicon d’Espagne. Avec l’explication du mot de Higuiero d’lnfierno, & autres y contenues.
Paris, 1594.
2 parties en un volume in-8 de 255 pp., 45 pp.
Vélin souple à rabats, titre calligraphié au dos. Reliure de l’époque.
165 x 110 mm.
Premier tirage, rarissime (demeuré inconnu de Cazeaux, le bibliographe de référence de La Satyre Ménippée) de la seconde édition originale très augmentée de La Satyre Ménippée, parue au début du second semestre 1594, quelques mois après la première, « l’un de ces textes dont la qualité littéraire autant que la teneur historique et politique ont assuré à la fois un extraordinaire succès contemporain et le passage à la postérité, au panthéon de la littérature » (J. P. Barbier).
Labarre, n° 227 ; N. Ducimetière, Mignonne, allons voir…, n° 106 ; J.-P. Barbier-Mueller, Chronologie des premières éditions de la Satyre Ménippée, LXVII‑2, pp. 373-393, « Ces éditions (J. Mettayer, 1593, 256 p.) font allusion à des événements survenus en mars et avril 1594 et ne sauraient avoir été imprimées en 1593 » ; Yves Cazaux, Essai de bibliographie des éditions de la Satyre Ménippée, Revue française d’histoire du livre, n° 34 ; Émile Paul, Catalogue de la bibliothèque poétique… Herpin, n° 279, « Les éditions connues qui portent la date de 1593 sont certainement antidatées » (Tchémerzine, II, 392).
Plusieurs éléments du texte l’indique comme une des éditions les plus anciennes :
1) Le portrait de Villeroy (pp. 136-137), ex-ligueur rentré en grâce, figure encore, alors qu’à la demande du roi il avait été supprimé dans la plupart des éditions datées 1593 ou 1594.
2) L’article II des effects de la drogue du Catholicon composé, n’est pas encore scindé en deux articles distincts.
3) L’épisode scatologique (pp. 38-39) qui fait erreur sur la personne n’a pas été corrigé comme dans les éditions plus récentes. (V. Yves Cazaux).
« Depuis Rabelais, le génie gaulois n’avait rien produit de plus brûlant, écrit le dernier bibliographe de ce livre, Yves Cazaux, (Revue française d’histoire du livre, n° 34, 1982, p. 3.) Charles Nodier, qui avait réédité la Satyre en 1824, remarquait que là brillait de tout son éclat l’esprit et le caractère français.
Pierre Champion nommait l’ouvrage : « Livre de grand patriotisme et de solide bon sens, résumant notre histoire, vue sous l’angle des divisions excitées par l’étranger dans le dessein d’affaiblir la France ».
« Profitant des guerres de religion, la maison de Lorraine cherche à s’emparer du pouvoir, sous le couvert de la Sainte-Ligue, union générale des, catholiques constituée en 1576. Henri de Guise soulève Paris contre Henri III (journée des Barricades, mai 1588), mais le roi le fait assassiner et s’entend avec « le Béarnais », Henri de Navarre, héritier de la couronne. Les ligueurs sont défaits à Senlis en 1589 mais Henri III est assassiné à son tour par Jacques Clément. Henri IV, prince protestant, doit aller à la conquête de son trône. Il est soutenu par ses coreligionnaires et par les Politiques, parti modéré qui veut avant tout mettre fin à la guerre civile.
Paris est alors livré aux « Seize », représentant les seize quartiers de la capitale et ligueurs acharnés, qui font régner la terreur, sous la protection d’une garnison espagnole. Le duc de Mayenne, frère d’Henri de Guise, est nommé lieutenant général du royaume. Cependant Henri IV, vainqueur à Arques et à Ivry, vient assiéger Paris. Dans la capitale, le mécontentement est grand : des catholiques modérés (les ligueurs sont « catholiques zélés »), appuyés par le Parlement, se groupent autour d’un ancien prévôt des marchands, d’Aubray. Mayenne doit convoquer les États Généraux (1593). Cette assemblée, chargée de nommer un roi s’y refuse. Bientôt Henri IV pour achever l’apaisement abjure le protestantisme, et Paris lui ouvre ses portes ».
La Satire Ménippée est l’œuvre collective d’un groupe de bourgeois de Paris, heureux de saluer, dans la défaite de la ligue, la victoire de la raison : les chanoines Gillot et Pierre Leroy, le poète humaniste Passerat, un érudit, Florent Chrestien, enfin des hommes de loi, Gilles Durant, Rapin et Pierre Pithou. Les petits vers qui agrémentent l’œuvre sont dus à Passerat et Rapin ; la Harangue de M. d’Aubray, morceau essentiel, à Pierre Pithou. Le titre rappelle le philosophe cynique Ménippe (IIIè siècle av. J.-C.) et annonce ainsi un franc-parler brutal et burlesque.
Il s’agit de ridiculiser l’adversaire en lui prêtant un langage cynique ou niais. Ainsi les champions de la Ligue tiennent, l’un après l’autre, des discours qui les accablent. Ce procédé sera cher aux ironistes du xviiiè siècle, à Voltaire en particulier. Les énormités ainsi débitées provoquent un vaste éclat de rire, en revanche du bon sens. Mais il faut varier le ton, et la Harangue de M. d’Aubray expose sérieusement et même éloquemment toutes les raisons qui militent en faveur d’Henri IV et de la paix. L’auteur connaît sa rhétorique ; il est nourri de Cicéron et manie avec aisance la période, l’apostrophe, l’exclamation et l’interrogation oratoire. Sa langue est pleine de sève, elle a cette vigueur directe et imagée si caractéristiques du XVIè siècle. L’œuvre est sympathique par son patriotisme clairvoyant ; entraînante, malgré des longueurs, par ses qualités bien françaises ; une ironie pleine de bonne humeur, une verve digne de Rabelais et une éloquence chaleureuse au service de la mesure et de la raison.
« La Satyre Ménippée est un creuset où se fondent bien des formes et des traditions littéraires. Elle se souvient de la « satire » antique, à laquelle elle prête, grâce à une fausse étymologie, la liberté d’allure et de parole des « satyres » de la mythologie. Le terme de « Ménippée » renvoie aussi à l’Antiquité, où l’on désignait par cet adjectif une œuvre mêlée dé prose et de vers. Ceux-ci abondent dans l’ouvrage de Pithou et de ses amis : citations de poètes grecs et latins, chansons d’allure populaire qui se moquent de la corpulence de Mayenne ou de la fuite des troupes catholiques à la bataille d’Ivry.
Ces vers introduisent une bonne humeur « bien française » dans une scène assez sombre et rappellent que la patrie de Rabelais n’est pas décidée à vivre à l’heure de la pénitence comme le voudraient l’austérité espagnole ou l’esprit du concile de Trente. On ne compte pas d’ailleurs, les références et les allusions à Rabelais qui fournit à la Satyre Ménippée les thèmes et les motifs carnavalesques adaptés à la circonstance. Ce qui a fait, en définitive, le succès de cette œuvre, c’est la parfaite adaptation de la forme littéraire à l’idéologie Henri IV victorieux, c’est le triomphe de la liberté religieuse (que va assurer l’édit de Nantes, en 1598) et de la liberté littéraire » (D.M.).
Magnifique exemplaire de tout premier tirage conservé dans sa remarquable reliure en vélin ivoire de l’époque. En mai 2011, l’exemplaire de second tirage relié au xixè siècle par Cuzin provenant de la bibliothèque Eugène Paillet était vendu 27 000 € à Paris.
L’ouvrage est donné par l’imprimeur royal parisien Jean Mettayer, réfugié à Tours.
Yves Cazaux n’a identifié aucun exemplaire de ce premier tirage, signe d’une insigne rareté